Nos contributeurs

Kévin Gaillardet

Métier / fonction : Co-fondateur chez La Faabrick Cherdet
Domaine d’activité : Faire connaître le plus largement possible les formes alternatives d’activité
Vous en un mot : L’entreprise étendue

“Les RH traitent assez peu la question des freelances. Ils ont un peu un voile sur les yeux et se concentrent sur les salariés. Il faut commencer à raisonner en termes de compétences et non de statut. Si par exemple, je sais que mon entreprise a besoin d’une chose pour se dynamiser, évoluer, s’adapter à son marché, je vais aller chercher la compétence plutôt que le statut.”

“Le futur de l’entreprise, c’est être en mesure de construire une culture solide qui permet les collaborations entre des salariés et des freelances. Je suis de plus en plus convaincu qu’il va y avoir des allers-retours, qu’un salarié va vouloir se lancer en freelance à un moment et redevenir salarié à un autre”

Freelances et salariés, deux forces complémentaires pour l’entreprise

Les entreprises doivent se dépasser pour faire du freelancing un vrai atout à moyen terme. Dans leur stratégie, il faut commencer à le penser, à anticiper les besoins, à construire un pool de freelances complémentaire des salariés. On met un peu le pied dans la porte de l’entreprise du futur où les statuts seront beaucoup moins importants qu’aujourd’hui. L’entreprise va devoir s’adapter à cette multiplicité de postes. Finalement, celles qui vont bien s’en sortir, c’est celles qui vont être en mesure de créer une culture qui absorbe tout ça et qui permet de travailler ensemble. 

Le futur, c’est être en mesure de construire une culture solide qui permet les collaborations entre des salariés et des freelances. Je suis de plus en plus convaincu qu’il va y avoir des allers-retours, qu’un salarié va vouloir se lancer en freelance à un moment. Pourquoi se priver de la compétence de cette personne qui connait bien ton environnement, et pourquoi tu ne pourrais pas continuer à bosser avec elle sous une autre forme ? Et inversement. Si tu travailles avec un freelance que tu connais bien et qu’à un moment donné il a besoin d’être salarié, pourquoi ne pourrais-tu pas le recruter pendant trois ou quatre ans ? On va aller de plus en plus vers ce modèle. Les entreprises qui l’intégreront vite, auront un avantage concurrentiel par rapport aux autres. 

Une transformation des esprits et des outils !

Je ne suis pas totalement objectif dans ce que je te dis, puisque j’ai développé un logiciel qui permet de justement suivre et piloter son recours au freelance. 

On l’a développé avec Digital village, un collectif de freelances qui évolue dans le numérique depuis 2013. Ils possèdent des espaces de coworking et ils fonctionnent un peu comme une agence. C’est-à-dire qu’à un moment donné, ils avaient des gens dans leurs locaux qui travaillent dans le digital et ils se sont dit : “Est-ce qu’on ne peut pas proposer des services aux entreprises ? En plus de leurs espaces de coworking, un peu partout en France, ils ont une agence digitale et ils ont construit un logiciel pour gérer leur propre activité. Donc, il y a un peu la double casquette : celle pour gérer le collectif en interne et celle pour gérer l’interface client. Nous, ce qu’on a fait, c’est qu’on a un peu transformé ça avec eux, en logiciel de pilotage et d’aide au recours au freelancing pour les entreprises. 

Prenons l’exemple suivant : Sur une mission, tu fais appel à cinq ou six freelances. Après, tu gères les factures, tu gères la comptabilité, tu peux partager des documents, tu peux discuter avec eux plus facilement. C’est un outil de gestion de projet, mais vraiment centré sur le recours au freelance. Il y a la fonction facture, la comptabilité où l’on peut payer trente freelances en deux clics. Cela évite tous les allers-retours entre les chefs de projet et le service comptabilité par exemple.

Pour que la gestion des compétences externes ne soient plus un frein

Les entreprises disent qu’elles perdent du temps à faire ça. C’est plus facile de gérer des factures instantanément où on est parfois obligé de mettre une alerte pour le 15 juillet, celle-là pour le 12 septembre, etc. On gagne du temps. Surtout, on simplifie le processus de facturation. Parce que c’est le chef de projet qui lance les freelances et c’est lui aussi qui va demander une facture ou la recevoir. Donc il la télécharge sur la plateforme, il la valide et elle part en comptabilité directement. Cela peut ainsi éviter l’envoi d’une dizaine de mails. Si l’entreprise suit le processus qu’on a pensé avec eux, alors elle gagne pas mal de temps. On l’a déjà expérimenté auprès d’une vingtaine de boîtes. 

Ensuite, on retrouve la dimension “partage des documents”. Il y a un espace partagé sur chaque projet où les freelances peuvent y déposer leurs travaux. On retrouve également une dimension onboarding, qui n’est pas toujours évidente à gérer pour les salariés alors pour les freelances c’est encore pire. C’est vraiment à la main du manager qui fait appel à un freelance. Il va lui donner les deux ou trois informations qui sont pertinentes, mais ce n’est pas vraiment pensé. On aide l’entreprise à préparer les documents intéressants pour les freelances quand ils commencent à travailler avec elle. Tout ce qui va leur permettre de mieux la connaître, de gagner du temps, de connaître les outils qu’ils vont utiliser et rentrer rapidement dans leur nouvel environnement. A chaque fois que l’entreprise collabore avec un nouveau freelance, il a accès à son espace onboarding. Il est en mesure de suivre des vidéos e-learning, de trouver l’organigramme, la charte des engagements, etc.

Revendiquer son recours aux freelances et ne plus avoir peur de la requalification

Les premières entreprises que j’approche se sont déjà lancées dans la démarche. Je sens clairement que certaines sont déjà prêtes. Aujourd’hui, je trouve que la peur du risque de requalification est moins importante qu’il y a quatre ou cinq ans. Avant, c’était un sujet très important. Quand je parlais de freelancing avec des entreprises, leur première peur, c’était la peur de la requalification. Dorénavant, la logique est un peu inversée. Dans la mesure où il y a de plus en plus de gens qui font ça par choix. A partir de ce moment-là, il y a beaucoup moins de chance d’avoir une demande de requalification. A propos de notre outil, notre avocat nous l’a présenté comme un avantage. Il apporte une preuve que la personne avec qui tu travailles est bien en freelance. Parce que dans cet outil, la gestion du freelancing et des salariés est séparée. En plus de ça, nous avons mis en place différentes alertes automatiques là-dessus. Par exemple, si tu collabores avec un salarié porté, tu sais que tu as beaucoup moins de chance de subir une requalification. Ça peut arriver mais c’est très rare. Il faut vraiment que l’entreprise se rate. Il faut qu’elle fasse passer un entretien pour un CDI et elle propose derrière un contrat en portage. Si la société fait ça de bonne foi, le risque est bien moindre. En termes d’alertes, par exemple, sur le profil des freelances, ils peuvent remplir l’attestation de l’Urssaf, l’attestation de régularité fiscale et tous les documents qui sont normalement utilisés quand tu emploies des indépendants et qui ne sont pas toujours demandés par les entreprises. Il y a des alarmes pour ça. Peu importe la fréquence des demandes de ces documents, un mail d’alerte est envoyé à l’indépendant. Il est accompagné et n’a plus qu’à transmettre ces papiers sur le logiciel.

Rééquilibrer le « qui a besoin de qui »

Des entreprises subissent un réel manque de salariés. Il s’est passé plein de choses qui peuvent expliquer ce changement. Déjà, avec le Covid, il y a de plus en plus de gens qui se sont lancés en indépendants. Les métiers changent aussi. De plus en plus sont exercés en freelance depuis dix ans. Avant, c’était un peu réservé aux développeurs stars, au consultant qui n’avait pas trop de soucis à trouver des clients. Aujourd’hui, tous les métiers sont accessibles aux freelances. Le législateur s’est beaucoup concentré sur le risque de requalification des VTC, des livreurs Uber Eat etc. On sent que la requalification d’un prestataire intellectuel, qui a la possibilité de travailler avec plein de clients, qui, normalement, ne se voit pas imposer ses prix, est moins risquée. Déjà qu’on a du mal à requalifier les chauffeurs VTC en salariés, les entreprises sont moins frileuses là-dessus. C’est ce qu’on observe et on est là pour apporter aussi une réponse à ces problèmes.

Selon nous, le risque de requalification est assez faible si tu fais bien les choses. On a mis en place des guides sur ce qu’il faut faire quand tu bosses avec un freelance. C’est au sens large et cela comprend les salariés portés, les opérateurs, indépendants… Il y a des choses à respecter pour éviter la requalification mais c’est logique. Il faut qu’il ait la possibilité de travailler avec d’autres personnes. En tant que client, tu ne le bloques pas. Au niveau de la subordination, quand tu fais appel à un freelance, tu lui donnes un cadre général et derrière, c’est lui qui exécute comme il l’entend et comme son expertise lui permet de le faire. Si c’est juste un exécutant, et que toutes les semaines tu fais des points, tu l’intègres à ton équipe, il doit prendre des vacances, etc.. En fait, c’est un salarié. Il y a des trucs à respecter. C’est assez facile de rester dans le cadre.

La place du consultant dans l’entreprise

Cela dépend beaucoup du type de l’entreprise. Quand tu es en régie et que tu exécutes un travail pendant deux ans, ou que tu fais de la maintenance sur du Sirh (Système d’information de gestion des ressources humaines, NDLR), tu es quand même souvent subordonné à un directeur. Ce qui est intéressant quand tu fais appel à des consultants, c’est le positionnement différent qu’ils amènent. Je me rappelle bien d’une chose qui m’avait beaucoup plu. J’avais entendu parler de managers, directeurs commerciaux et DRH à temps partagé qui avaient évoqué cette différence de positionnement. Ils s’étaient souvent placés dans la posture traditionnelle, plus dure. En temps partagé, ils se retrouvent plus libres dans les conseils et dans les manœuvres qu’ils veulent proposer à la direction. Peut-être qu’on accepte mieux l’innovation quand cela vient de l’extérieur.  Tu te dis : “C’est un super expert, je le paye pour ça, il faut qu’il m’apporte quelque chose”. Finalement, tu ne payes pas un consultant pour qu’il fasse la même chose qu’un salarié. Le consultant s’extrait de tout ce qui est la dimension politique de l’entreprise, qui peut prendre beaucoup de temps et occuper pas mal les salariés dans des structures conséquentes. Le consultant doit se focaliser sur la valeur qu’il amène.

Réussir ? Avoir une culture d’entreprise suffisamment forte pour faire travailler tout le monde ensemble

Dans le futur, c’est une entreprise avec une culture suffisamment forte pour faire travailler tout le monde ensemble. Finalement, cette dimension de salariée s’est un peu gommée. Je ne crois pas au fait que l’entreprise de demain ne collabore qu’avec des freelances. Je pense qu’avoir des salariés représente un grand intérêt. En plus, c’est largement la norme en France, et cela le restera pendant très longtemps. Je ne suis pas de ceux qui disent que c’est la fin du salariat. Par contre, je pense que les entreprises vont être amenées de plus en plus à travailler avec une multiplicité de statuts. Les RH traitent assez peu ces sujets aujourd’hui. Ils ont un peu un bandeau sur les yeux et se concentrent sur les salariés. Il faut commencer à raisonner en termes de compétences et non pas de statut. Si par exemple, je sais que mon entreprise a besoin d’une chose pour se dynamiser, évoluer, s’adapter à son marché… Est-ce que pour aller chercher des compétences, je ne peux pas recourir à la fois au salariat et au freelancing ?

Externaliser c’est aussi une manière de gérer

Quand on commence à avoir besoin de compétences de CEO, par exemple on est sur la création de contenus. On voit que ce sont des métiers d’experts. Si tu embauches un salarié tu verras vite qu’il ne couvrira qu’une partie du champ. Si tu veux vraiment être efficace tu devras quand même aller chercher d’autres compétences ailleurs.

Par contre, c’est faux de penser qu’il n’y a que les grands groupes qui font appel au freelancing. Il y a un paquet de PME ou ETI qui ont recours au freelancing ou à des prestataires extérieurs. Mais ça ne change pas grand-chose dans l’approche, il faut signer des contrats de prestation avec des personnes. Je trouve que certaines ETI et PME s’affranchissent de certaines questions en faisant appel à des freelances. Il y a parfois plus de liberté que dans les grands groupes.

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