Notre contributrice

Catherine Demaille

Métier / fonction : Formatrice / Consultante / Coach / Médiatrice
Domaine d’activité : Stratégie – Vision – Management – Négociation – Anticipation & Gestion des conflits
Vous en un mot : Catalyseur

“Le management, c’est aussi réfléchir à comment influencer en transverse. Comment puis-je rendre chacun acteur, que ce soit dans une structure hiérarchique ou transversale ? C’est là qu’intervient la notion d’organisation systémique, qui va au-delà de la structure matricielle.”

“L’équilibre ne se résume plus à une simple routine métro-boulot-dodo, mais à une recherche de réalisation personnelle plus profonde en répondant aux besoins de trois cercles : prendre soin de soi, de ses proches, et contribuer à quelque chose de plus grand que soi.”

“Si ma réussite personnelle coexiste avec l’effondrement de mon village, de mon entreprise, ou même de la planète, est-ce réellement une réussite ?”

L’équilibre entre vie professionnelle et personnelle

C’était un sujet déjà essentiel avant le Covid, mais qui ne s’exprimait pas. Aujourd’hui, c’est devenu non négociable pour plein de raisons différentes. Il y a cette notion selon laquelle nous n’avons qu’une seule vie et nous ne voulons pas reproduire le modèle de nos parents ou de nos grands-parents, travailler 70 heures par semaine avec seulement un jour de congé le dimanche. Aujourd’hui, les gens se rendent compte, à juste titre, que la vie est précieuse, que la santé mentale et physique est importante, et qu’il est essentiel d’équilibrer sa vie professionnelle et personnelle. 

Grâce au télétravail, ils ont la possibilité d’organiser leur emploi du temps de manière plus flexible, en se concentrant à la fois sur leur travail et sur leur vie personnelle. Ils peuvent gérer des tâches domestiques ou familiales pendant leur temps de travail à distance, ce qui libère du temps le week-end pour des activités plus enrichissantes. Cependant, comme tout changement positif, il y a aussi des défis à relever. Cette nouvelle façon de travailler est maintenant considérée comme la norme. Je ne juge pas si c’est bon ou mauvais, c’est simplement la réalité actuelle.

Le télétravail, variable essentielle de l’équation

Absolument, ce sont les premières questions posées par les jeunes collaborateurs. Est-ce qu’il y a du télétravail ? Si oui, à quelle fréquence ? Ou bien, quand est-ce que cela peut débuter ? Certaines entreprises fixent une période d’attente, par exemple six mois, tandis que d’autres permettent dès la troisième semaine, un jour de télétravail, puis deux jours la quatrième semaine, et éventuellement trois jours si tout se passe bien. Il y a donc cette dimension, mais également une notion plus large de liberté, qui est liée à l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle. 

Durant la période de la pandémie, beaucoup ont ressenti une privation de liberté, influencée par des événements extérieurs tels que les conflits ou les préoccupations environnementales. Certains se disent qu’il faut profiter de la liberté tant qu’elle est encore possible. Cela soulève des questions sur la manière dont nous percevons cette balance entre nos engagements professionnels et personnels. Pour certains, comme moi par exemple, cet équilibre se traduit par une répartition entre différents lieux de vie : un tiers à Lille, un tiers en Dordogne, et un tiers chez mes clients, en déplacement. Ce qui demande parfois une réorganisation des lieux de travail, que ce soit en télétravail chez les parents, à la campagne, dans une maison de vacances, ou dans un espace de coworking pour avoir une interaction sociale. L’équilibre entre vie professionnelle et personnelle ne se limite pas à rester seul chez soi, mais à repenser notre façon de travailler. Certains de mes clients ont même décidé de réduire leur temps de travail pour s’engager dans des activités associatives telles que les Restos du Cœur, Emmaüs ou les soins palliatifs. Ils ont choisi de gagner un peu moins pour donner un sens plus profond à leur vie.

Est-ce que l’idée de travailler moins est bien accueillie ?

Ces décisions sont à la fois acceptées et qualifiées de pionnières, surtout lorsqu’il s’agit de salariés, bien qu’on ne les considère pas encore comme des contestataires. Cependant, lorsque ce sont des travailleurs indépendants, ils sont souvent perçus comme des précurseurs. Par exemple, un ami, ancien directeur général d’une entreprise importante dans la qualité du traitement de l’air, a décidé de changer de vie. Il est devenu coach, pratiquant la méditation en pleine conscience, et travaille avec des universités. Il a déménagé avec sa famille vers un environnement plus rural, en réduisant leurs besoins matériels. Cette décision reflète une volonté de vivre différemment, en valorisant la qualité de vie plutôt que le niveau de revenu. Cette réflexion sur l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle n’est donc pas seulement individuelle, mais aussi familiale, représentant une autre approche significative. 

Les jeunes parfois à la recherche d’interculturalité et d’un nouvel équilibre

De nos jours, de nombreuses personnes choisissent de travailler ou de vivre à l’étranger. Par exemple, l’une de mes filles travaille et réside en Suède avec son compagnon grec depuis sept ans. Ils vont même avoir un enfant là-bas. Cette situation met en lumière une autre facette de la vie professionnelle et personnelle.

Dans le cas de ma fille, il s’agissait d’un séjour Erasmus, où les jeunes passent leur cinquième année à l’étranger. Cela fait également partie de l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Par exemple, certains choisissent une approche différente de celle de leurs parents ou grands-parents, en prenant une année sabbatique juste après leurs études, avant de commencer leur carrière. Aux États-Unis, par exemple, ils n’ont pas autant de vacances, mais ils prennent une pause tous les sept ans. Chacun trouve sa propre forme d’équilibre, ce qui, je l’espère, conduit à une prise de conscience sur la manière de préserver sa santé à long terme en équilibrant sa vie professionnelle et personnelle. Cependant, il y a aussi un côté obscur à cela : le travail n’est plus considéré comme une valeur aussi fondamentale pour les jeunes que pour leurs parents ou grands-parents. Certains se demandent s’il est vraiment nécessaire de travailler pour être heureux. J’ai même entendu des personnes plus âgées dire : “Catherine, c’est désolant qu’à la fin, nous soyons obligés de travailler pour gagner notre vie”. Comment allons-nous faire ? 

Le travail est de moins en moins un élément central de la construction de notre identité

Certaines personnalités assument pleinement cette réalité aujourd’hui. En parallèle, je vais reprendre les travaux de Jung sur l’introversion et l’extraversion. Les introvertis ont souvent un équilibre plus facile entre leur vie professionnelle et personnelle, car ils ressentent moins le besoin de contact social au travail. Ils sont capables de se créer une vie sociale en dehors du travail sans contrainte. Les extravertis, en revanche, ont besoin de ce contact au travail et trouvent une part de leur épanouissement dans leur travail, car ils tirent leur énergie des interactions sociales. S’ils se retrouvent dans une situation de déséquilibre entre vie professionnelle et personnelle, ils chercheront à recréer du lien social en dehors du travail, que ce soit en s’engageant dans des activités caritatives ou en poursuivant d’autres projets personnels ou familiaux. Ainsi, l’équilibre ne se résume plus à une simple routine métro-boulot-dodo, mais à une recherche de réalisation personnelle plus profonde. Ceci est corroboré par des études en neurosciences qui soulignent l’importance de répondre aux besoins de trois cercles : prendre soin de soi, de ses proches, et contribuer à quelque chose de plus grand que soi. Ceux qui parviennent à répondre à ces besoins ont une meilleure gestion de leur temps et de leur énergie, ce qui leur permet d’accomplir davantage en 24 heures. Ils ne subissent pas le temps, mais le maîtrisent, en le considérant de manière réfléchie et proactive.

Prendre soin de soi, de ses proches, contribuer à quelque chose de grand, est-ce réussir ?

Je conçois la réussite à un niveau différent, peut-être celui que tu as évoqué, mais le lien reste le même. Pour moi, la réussite ne se résume pas à mes propres succès individuels, familiaux, ou même collectifs dans le sens large du terme. Elle englobe bien plus que cela. Certains pourraient la définir selon un schéma un peu “Made baby-boomer” : je commence par louer, puis j’achète, ensuite je vise plus grand, une petite voiture devient une grosse voiture, et finalement, j’accumule sans discernement. Une maison à la campagne pour m’éloigner, des vacances luxueuses, et ainsi de suite. Mais ce modèle s’effrite pour bon nombre de personnes, même s’il en reste encore qui s’y accrochent. Ce n’est pas tant le sujet, mais il y a une évolution. Certains se questionnent : si ma réussite personnelle coexiste avec l’effondrement de mon village, de mon entreprise, ou même de la planète, est-ce réellement une réussite ? Des réflexions émergent car les gens ont besoin que leur vie ait un sens. La réussite, est-ce seulement une question d’accumulation de richesse ? La notion de réussite est différente selon que l’on soit citadin ou non. Elle varie, et je pousserais même plus loin en tant que parisien intra muros et les habitants d’ailleurs.

Maintenant, souvent lorsque je participe à des formations ou que j’interviens chez des clients en dehors de Paris, il m’arrive parfois d’émettre quelques réflexions volontairement. Certains me disent que ces pensées sont typiques des Parisiens, même s’ils savent que je ne suis pas originaire de Paris. Alors je leur réponds que c’est à la fois une minorité de personnes, mais qu’elle détient un pouvoir considérable sur la France. Et les deux assertions sont véridiques. Comment faire face à cela ? La notion de réussite est devenue extrêmement complexe de nos jours, car elle englobe différentes dimensions. Est-ce que réussir signifie avoir de l’argent, accumuler des richesses, trouver un équilibre entre vie professionnelle et personnelle ? Est-ce être assuré de l’avenir de ses enfants ou petits-enfants ? Et si c’est ce que l’on souhaite, comment contribuer à cela ?

Certains choisissent de contribuer collectivement, en s’impliquant dans des projets d’envergure locale, au sein de la mairie par exemple. Ils travaillent à instaurer et maintenir un équilibre, que ce soit sur le plan écologique, familial ou autre. Cette quête d’équilibre persiste dans leur ville. D’autres optent pour la vie à la campagne, où ils s’engagent dans des pratiques permaculturelles, prenant soin à la fois des êtres humains et de la terre, tout en cherchant à redistribuer les richesses. C’est ainsi que le concept de perma-entreprise prend tout son sens, tant au niveau des entreprises que des collectivités locales. Dans ce contexte, la notion de réussite est également liée au sens que l’on donne à sa vie.

Elle peut passer par un équilibre entre vie professionnelle et personnelle, comme nous l’avons évoqué précédemment, ou par une forme de contribution externe : soutien familial accru, consacrer davantage de temps à ceux qui nous sont chers, apporter une contribution financière ou en termes de temps.

Prendre part au monde pour réussir

Cette phrase résume bien ma réflexion. Est-ce que je ne contribue qu’à moi-même ? Est-ce que je contribue au monde ? Ou comment puis-je contribuer aux deux ? Sur le plan personnel, j’accompagne les entreprises, mais je ressens que je n’ai pas encore suffisamment œuvré pour contribuer au monde selon le concept de perma-entreprise. Parallèlement, en tant que personne consciente des enjeux écologiques, je me dis que je ne peux pas ignorer ces préoccupations. Cela a été clairement exposé partout. Comment puis-je garantir que mes 30 prochaines années, qui représentent tout de même un tiers de ma vie, ne passent pas à côté de ces enjeux ? Comment puis-je agir pour mes enfants ? Pour mes petits-enfants ? Quelles initiatives puis-je mettre en place ?

Il serait égoïste de ma part de penser “après moi le déluge”. C’est pourquoi j’ai lancé ce projet en Dordogne, même s’il ne servira peut-être pas, et s’il peut être utile à d’autres, tant mieux, peu m’importe. L’essentiel est que j’aurais contribué à mon niveau. Ensuite, je continue de contribuer dans le domaine des entreprises, dont je parle souvent. Mais demain, je pourrais envisager de travailler moins et de consacrer ce temps ainsi libéré à aider les autres, peut-être en m’engageant davantage dans la lutte contre le changement climatique. Actuellement, même si j’ai cette intention en tête, je ne suis pas encore pleinement impliquée. Je pourrais également apporter mon soutien à des initiatives telles que la gestion de l’éco anxiété liée à l’environnement. Il y a de nombreux niveaux d’action où je pourrais être active et me demander : est-ce que je contribue en donnant de mon temps ? Actuellement, je consacre deux jours par mois à ces initiatives. Mais je pourrais envisager de réduire mon temps de travail, de gagner moins, pour pouvoir donner davantage.

Est-ce une réelle prise de conscience de notre responsabilité ou une prétention à penser que nous pouvons changer le monde ?

Les deux propositions sont valides et ce n’est pas une prétention. Peut-être que le travail n’est plus une valeur dominante. Mais est-ce que la contribution à la société reste une valeur importante ? Donc, à quel niveau cela se situe-t-il ? Et il n’y a pas de jugement à porter là-dessus. Je crois que même les personnes qui cultivent leur propre jardin et qui offrent des produits biologiques à l’école voisine font déjà un travail admirable, une contribution externe. On pourrait dire que cela compte, quel que soit le niveau.

Et la seconde question : est-ce que chacun peut contribuer à changer le monde, que ce soit le monde immédiat ou plus large ? La réponse est oui. Est-ce que chacun doit le faire, ou devrait le faire ? Oui, mais ce n’est pas nécessairement le cas pour tout le monde. Est-ce qu’il est nécessaire d’inspirer les gens à agir en les rassurant, en leur fournissant des orientations, en les incluant dans le processus ? Il y a différentes manières de le faire. Mais la réponse fondamentale demeure. C’est là que se trouve la réponse.

La perma-entreprise comme modèle à suivre

Cette idée est incarnée par le concept de perma-entreprise, comme celle de Norsys, qui l’a mise en œuvre. D’ailleurs, la deuxième édition du livre sur la perma-entreprise vient de sortir. Je crois fermement qu’une entreprise qui prend soin de ses employés, de la planète et réfléchit à la manière dont elle utilise ses ressources financières est sur la bonne voie. Comment pouvons-nous amener davantage d’entreprises à adopter ce schéma ? Pour moi, il s’agit d’une question de systémique organisationnelle.

Cela signifie que les structures uniquement pyramidales ne sont plus viables. C’est une évolution du management à travers les siècles, et c’est un sujet passionnant. Par exemple, dans le modèle Tayloriste, il y avait un patron d’usine, des contremaîtres, des salariés, des machines à faire tourner, et ce schéma existe toujours en France. Cependant, si nous voulons passer d’un modèle pyramidale à celui d’une entreprise libérée, il faut que chacun se sente acteur et contributeur à son niveau. Le fondateur de l’entreprise a démontré son talent pour avoir créé la société, un talent que les autres n’auraient pas nécessairement. Ensuite, chaque membre de l’équipe a un rôle, mais ce rôle ne se limite pas à ses compétences spécifiques. Dans une organisation systémique, chaque collaborateur est chargé d’accompagner ses collègues, car il possède ses propres compétences uniques, mais il est également attendu sur d’autres aspects par l’entreprise.

L’objectif d’une organisation plus systémique est de permettre à chacun de trouver un sens à son rôle, quel qu’il soit, et de se sentir acteur dans sa sphère d’influence. Dans cette perspective, un chirurgien n’est pas plus important qu’un technicien de surface chargé de stériliser le bloc opératoire. Si le bloc n’est pas correctement stérilisé, le chirurgien ne peut pas opérer. Il n’y a pas de hiérarchie de fonctions meilleures ou moins bonnes. Il s’agit plutôt d’amener chaque individu à reconnaître l’importance de son rôle et à contribuer à améliorer les choses dans son environnement de travail, car celui qui accomplit une tâche en connaît les subtilités et peut proposer des améliorations à différents niveaux.

Une réalité valable pour les compétences externes ?

Absolument, puisqu’on va amener un talent à un moment donné, c’est valable partout. Pour moi, la prise de conscience de la systémique est non seulement cruciale en entreprise, mais elle l’est aussi partout ailleurs, car elle répond également à des besoins de plus en plus transversaux. On me demande souvent : “Pourrais-tu dispenser une formation sur le management transversal ?” Alors je réponds oui, mais en réalité, ce que les gens recherchent, c’est une formation en systémique. Pourquoi cela ? Parce que le management, c’est plus que simplement penser de manière transversale. C’est aussi réfléchir à comment influencer en transverse. Et comment je peux rendre chacun acteur, que ce soit dans une structure hiérarchique ou transversale, à différents niveaux ? C’est là qu’intervient la notion d’organisation systémique, qui va au-delà de la structure matricielle. Il y a une réelle distinction entre les deux approches.

Cette réflexion, ou cette organisation, répond également aux trois autres questions, aux trois autres thèmes que vous avez abordés. Si l’on raisonne de manière plus top-down, mais que l’on passe à une approche transversale, voire systémique, où chacun est acteur à son niveau, cela nous amène à la théorie  des forces. Cela signifie que chaque individu contribue selon ses talents. Comment puis-je être encore meilleur dans ce que je fais bien, afin de créer de la différenciation et de la valeur ajoutée ? Comment puis-je reconnaître les domaines où je suis moins performant, et que je devrais probablement aborder, mais sans y consacrer plus de 30 % de mon temps, car au-delà je serais contreproductif pour mes collègues, pour mon entreprise, et pour mon environnement ? Cela implique également d’identifier les talents de chacun et de les encourager à les développer encore davantage dans les domaines où ils excellent.

Une entreprise, c’est une entité qui se donne une mission.

D’ailleurs, si elle était une entreprise à mission, ce serait encore mieux. Elle se définit également par ses talents, et pour bien d’autres raisons, car cela redonne du sens. Une entreprise qui est déjà un acteur dans le monde, qui excelle dans ce qu’elle sait faire et qui s’efforce d’apporter du sens à ses collaborateurs. Que l’on évolue dans le secteur tertiaire, dans le luxe, ou dans n’importe quel autre domaine, comment contribuer au mieux de nos capacités ? À ce sujet, j’aime beaucoup une phrase de Bertrand Piccard : lorsqu’on lui disait que Total comprenait de mauvaises pratiques et qu’il ne devrait pas aider ou travailler pour ces gens-là, il répondait “que les transformations interviennent à tous les niveaux. Nous ne pouvons pas renier l’utilisation du pétrole après des années de consommation, mais nous savons maintenant qu’il faut réduire notre dépendance. Pour cela, il faut collaborer avec ceux qui sont impliqués dans cette industrie. Ce n’est pas en les regardant de loin que nous allons faire avancer les choses”. Pour lui, c’est en essayant de changer les mentalités et les pratiques, en incluant de nouvelles approches, que nous pouvons amener les entreprises à évoluer. 

Les changements ne se produisent pas du jour au lendemain, et les entreprises ont une responsabilité envers leurs employés, qu’ils soient dix, vingt, trente ou cinq mille. Elles ne peuvent pas les licencier du jour au lendemain en leur disant : “Désolé, ce n’est plus d’actualité, trouvez-vous un autre emploi.”

Les entreprises sensibilisées à des pratiques plus sensées par les employés

Cela commence à prendre forme. Car ceux qui tentent de recruter demandent souvent : “Quelles sont vos missions ? Quel est le sens de votre travail ?” Si le recruteur ou l’employé ne peut pas répondre à ces questions, ils sont souvent écartés. Cela fait partie intégrante de la manière dont vous pouvez donner du sens à votre travail. Cependant, les gens n’y réfléchissent pas toujours, simplement parce qu’ils ne prennent pas le temps de le faire. Je pense que c’est le rôle du manager de réfléchir à ces questions pour lui-même. En tout cas, c’est ce que j’encourage dans mes formations aux managers pour inciter leurs collaborateurs à réfléchir à ces aspects. Il s’agit de se demander : pour quoi je suis doué ? Qu’est-ce que j’aime ? De quoi le monde a-t-il besoin ? Et pourquoi suis-je rémunéré ? Ces quatre questions suscitent déjà une bonne réflexion sur le sens de mon travail dans mon entreprise. Cela signifie que je ne vais pas les yeux fermés, sans réfléchir, que je sois le fondateur, un membre du comité exécutif, un manager ou un employé. Cette réflexion est toujours utile pour donner encore plus de sens à ce que j’apporte, même pour un prestataire.

Le prestataire a-t-il le choix de travailler pour telle ou telle entreprise ?

Je suis convaincue que nous avons toujours le choix. Certains me disent : “Je n’ai pas le choix à cause de contraintes financières.” D’accord, mais tu t’es mis ces contraintes tout seul. As-tu le choix de les réduire progressivement, pour alléger la pression et retrouver une marge de manœuvre ? Bien sûr que oui. C’est une autre facette de la question. Certaines personnes font le choix de vivre dans des espaces plus petits, de s’éloigner, de changer leur mode de vie. Par exemple, j’ai un client qui m’a dit : “Je n’ai plus de voiture.” Je lui ai demandé comment il faisait, et il m’a expliqué qu’il se déplaçait en vélo et en transports en commun. Pour les week-ends ou les vacances, il louait une voiture au besoin, mais il avait renoncé à posséder sa propre voiture. Il n’avait plus à s’inquiéter des frais d’entretien ou d’assurance. Je lui ai demandé comment il en était arrivé là. Il m’a raconté qu’un jour, en rentrant de vacances, sa voiture était tombée en panne à Orléans. Son assurance lui avait fourni une autre voiture en remplacement. Peu de temps après, le garagiste lui annonce le coût de la réparation. Comme le prix était énorme, il lui a répondu de garder son véhicule et il en avait fini avec la voiture. Cela avait été le déclencheur d’une réflexion qui le taraudait depuis cinq ou six ans, et qu’il n’avait jamais résolue correctement. Les contraintes liées au Covid, entre autres, ainsi que d’autres facteurs, comme l’augmentation du coût de la vie, peuvent conduire à ce genre de décision.

En ce qui concerne les entreprises à la recherche de sens, cela peut aussi amener les intervenants, dont je fais partie, à réfléchir différemment. Par exemple, lors de ma dernière intervention dans une entreprise la semaine dernière, où l’objectif était de renforcer la cohésion et de donner du sens alors que l’entreprise traversait une période difficile pour diverses raisons, une idée est née lors du déjeuner. Pour moi, il est très important de déjeuner avec les clients, car cela nous permet de sortir du cadre habituel et de créer de nombreuses opportunités. Nous avons convenu de deux solutions immédiates pour l’entreprise.

La première consistait à introduire un chat dans les locaux, à la fois pour ses effets thérapeutiques et pour favoriser les interactions entre les membres du personnel, tout en restant peu coûteuse et disruptive. Cette idée a été unanimement approuvée, ce qui est remarquable. J’ai lancé cette suggestion sur mesure, en écoutant attentivement leurs besoins, jouant ainsi un rôle de coach.

La deuxième idée était de tirer parti de l’espace vert autour de leur immeuble situé à Nation, à Paris. Environ un mètre cinquante de terre entourait le bâtiment. J’ai proposé l’idée de planter des tomates cerises pour des apéritifs conviviaux en soirée. Et tous vont mettre les mains dans la terre. Je vais leur faire livrer 20 plants de tomates greffées, ça ne va pas ruiner, mais pour eux, cela donne du sens. C’est révélateur. Autour de ce projet, ils vont continuer à renforcer leurs liens, car ils avaient déjà commencé à se solidariser. Nous avons rencontré un petit obstacle à ce stade, car il y avait plusieurs problèmes à résoudre sur le plan juridique, ce qui compliquait les choses. Comment faire un pas de côté pour avancer malgré tout ? Cela signifie qu’il faut explorer de nouvelles pistes.

Sans passer pour du management washing

Pas du tout, parce qu’ils ont réagi eux-mêmes à ça et ils ont vu l’énergie qui circulait dans la salle. Ils ont vu les sourires sur les visages, ils ont vu le côté décalé, mais pas complètement fou quand même! Planter trois plants de tomates, ça n’a rien de totalement disruptifs, reconnaissons-le.

Le Code du Travail comme cadre

A propos du Code du Travail, j’avoue qu’on ne sait pas du tout s’interroger dessus les uns les autres. On s’est demandé : si j’ai un chat, est-ce que ça marche avec l’alarme ? Oui, on a vérifié. Oui, on a poussé la réflexion jusqu’au bout et ils ont trouvé la réponse eux-mêmes. C’est drôle de voir comment les gens sont tous animés par quelque chose qui leur plaît et qui a du sens. Ça les a amusés de discuter de ça entre eux, ça nous a pris deux fois quinze minutes pour prendre une décision, ça a dû nous prendre quinze, vingt minutes pour les tomates, ce n’est pas très long, et le reste leur appartient. Pour que ça ne devienne pas trop lisse, je vais évidemment leur faire envoyer les plants de tomates. Ils vont en parler, les oublier, puis se sentir obligés de les planter. Il faut aussi des idées, c’est bien, mais il faut aussi de la facilitation, c’est-à-dire qu’il faut guider les gens, leur fournir des solutions pratiques, le mode d’emploi pour commencer.

Le dirigeant comme catalyseur, initiateur

Dans mes formations, j’insiste toujours pour que le dirigeant soit présent, car c’est finalement lui qui prend les décisions. En tout cas, il détient encore ce pouvoir aujourd’hui, même si nous les encourageons à se laisser guider par les équipes, à être portés par la nature systémique de l’organisation. Mais si le pouvoir en interne est en conflit, cela ne fonctionnera jamais. Il est donc nécessaire qu’il y ait également un moteur en interne, une personne influente.

Le dirigeant va permettre aux autres d’avancer. Qui dira : “Oui, c’est génial ce que vous faites. Continuez.” Celui qui va être à l’origine de l’initiative, c’est-à-dire l’impulseur. Il peut soit impulser lui-même, soit soutenir une initiative extérieure, soit impulser et déléguer. Mais il est essentiel que, pour les autres demandes au sein de l’entreprise, cela soit clairement identifié : qui il est et qu’il donne son accord, dans un cadre défini. Tu vois, c’est toujours pareil. Le cadre peut être défini comme les règles du jeu ou le terrain de jeu. Peu importe, l’important est que le mode opératoire soit connu de tous. “D’accord, on prend un chat, ok. Qui vérifie avec le système d’alarme si c’est ok ?” “D’accord pour cela, qui est d’accord ? On vote : quatre pour, huit contre.” “D’accord, pour celui qui le fait, on essaie d’abord celui du quartier. Après, on prend le relais. Et le week-end, comment on fait ?” “Un chat peut rester seul deux jours quand même !” “On met les croquettes, le nécessaire.” “Ok, ça roule. Pour la chatière, on attend peut-être un peu.” Avec cet exemple simple du chat, j’ai pu aborder les prises de décision, à court terme, moyen terme, et long terme. Cela s’est organisé de façon naturelle. Qui fait quoi ? Quand ? Comment ? Cela s’est mis en place immédiatement. Et je souligne en quoi cet exemple ne peut qu’illustrer la façon dont vous souhaitez fonctionner en interne.

Quel monde du travail pour demain ?

J’aspire à un monde où les entreprises reconnaissent leur place dans un écosystème plus large, où elles comprennent leur rôle dans la communauté locale, urbaine et planétaire, en fonction de leurs métiers respectifs. Je rêve d’entreprises qui incarnent un véritable sens, qui le portent et le transmettent à leurs collaborateurs, avec un mode de fonctionnement favorisant un management et une organisation systémique. 

Actuellement, le travail à distance dans la plupart des entreprises est souvent mal organisé, mais j’aimerais que cela change. J’aspire à une liberté de travailler où je veux : chez moi, avec quelques collègues en coworking, dans un espace de coworking, voire même depuis ma maison de campagne ou celle de mes parents. Cette flexibilité permettrait également de prendre soin de ses proches, notamment des parents âgés. Travailler depuis l’étranger pourrait aussi devenir possible, à condition que des règles claires soient établies en termes de lien avec l’entreprise et l’équipe. La liberté doit être équilibrée avec le respect des autres : je m’engage à être disponible pour mes collègues pendant les heures convenues, tout en ayant la possibilité de gérer mon emploi du temps selon mes besoins et mon efficacité personnelle. I

Il est essentiel que cette liberté soit accompagnée d’une responsabilité partagée : être présent et réactif lorsque mes collègues ont besoin de moi, même si nos horaires de travail diffèrent. Pour moi, la liberté au travail est indissociable à la notion de courage. Et le courage va de paire avec la responsabilité. J’ai le courage de m’exprimer franchement, tout en assumant ma responsabilité envers mon entreprise. Je m’efforce de créer les conditions propices au bon fonctionnement de tous.

Des conflits générationnels

Cela peut prendre une mauvaise tournure. J’ai récemment été impliqué dans une médiation sur ce sujet. Parmi les participants, il y avait quelqu’un à cinq ans de la retraite, un manager, et une jeune collaboratrice. Cette dernière exprimait son désaccord, affirmant ne pas vouloir mettre à jour son planning pour indiquer qu’elle travaille depuis chez elle. Nous avons examiné les raisons derrière ses sentiments. Pour elle, c’était une question de liberté. Elle se sentait surveillée et contrainte. Ensuite, le collaborateur plus âgé a partagé son point de vue. Il avait besoin de savoir s’il pouvait la contacter. Il aimait se rendre au bureau, mais si tout le monde travaillait à distance, il préférait également travailler de chez lui. Cependant, sans cette information, il était désorienté. 

Ce débat a permis une prise de conscience mutuelle. Parfois, des discussions et un médiateur sont nécessaires pour clarifier les choses, et cela met en évidence l’importance de la communication dans une entreprise évolutive. Savoir où les gens passent leur temps est essentiel pour communiquer efficacement sur les besoins de chacun, car ce qui n’est pas exprimé n’existe pas. 

Les entreprises n’ont pas su accorder des libertés nécessaires

Nous devons avoir le droit de partir quelques minutes pour chercher nos enfants à l’école, par exemple. Et ces quinze minutes que je prends pour cela ne sont pas différentes des quinze minutes que j’aurais pu passer à fumer à l’extérieur. C’est une responsabilité assumée. Je communique simplement : “Je vais emmener mes enfants à l’école, je serai de retour à telle heure.” C’est tout à fait acceptable.

Il faut encore mettre la main à la pâte pour faire avancer ce système. Mais c’est la faute des entreprises ! Pendant le covid, très peu d’entre elles ont saisi l’opportunité de réorganiser les temps de travail et les canaux de communication. C’était une responsabilité qui leur était offerte sur un plateau d’argent. Pourtant, je me suis battue dans de nombreuses entreprises pour les encourager à agir. Mais peu ont réellement compris l’opportunité qui s’offrait à elles à ce moment-là. Maintenant, elles y reviennent, contraintes par les circonstances.

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