Métier / fonction : Consultante juriste
Domaine d’activité : Sécurisation juridique et opérationnelle des entreprises de portage salarial
Vous en un mot : La souplesse du cadre
Anne Sabatay
“La relation vers l’indépendant peut prendre plusieurs formes. Pas que l’indépendance ou le salariat, il y a d’autres alternatives. En tout cas, il y de la place pour y réfléchir.”
“Aujourd’hui les grands comptes, les grosses ESN, les gros intermédiaires, ont besoin d’être rassurés. Ils ont des clauses juridiques et des process formatés. Hors, le portage salarial, va nécessiter une adaptation de ces clauses (concurrence et bonne foi dans l’exécution).”
“Dans cette accélération et cette digitalisation très forte ce qui va faire la différence aussi c’est le travail de fond de relation commerciale, de partenariat construit au fil du temps. Ceux qui réussiront sont ceux qui seront reconnus grâce à leur qualité de gestionnaire, leur déontologie et leur transparence.”
Plus de souplesse dans le travail
Par rapport à cette notion “mode, projet, entreprise et énergie” le fait est qu’aujourd’hui il y a des modes de travail différents. C’est intéressant. Je fais partie des gens qui disent qu’il y a mille façons de travailler. Par exemple, lorsqu’on a des enfants, on a mille et une personnes qui nous disent comment on doit s’en occuper quand on vient d’être jeune maman. Pour le travail, c’est important qu’il y ait un cadre et des règles à respecter, mais on doit laisser une souplesse dans le mode de travail et le mode de relation.
La confiance permet un équilibre de l’écosystème
Je suis juriste et ce qui m’intéresse c’est de pouvoir créer des choses et de les faire un peu sur-mesure. Comme j’aime ça, j’ai tendance à aller vers le sur-mesure plus que vers la massification. C’est vrai que le portage, aujourd’hui, se dirige en partie vers de la massification. Je crois qu’il y a aussi de la place pour se dire, même si c’est pas mille et une façon de faire, qu’il y a parfois des alternatives : pas qu’une seule forme, pas que l’indépendant ou le salariat.
C’est complémentaire et la relation vers l’indépendant peut prendre plusieurs formes. Ça peut être en direct ou ça peut être en cascade parce qu’on a besoin d’intermédiaire car chacun a un rôle. Ce qui m’intéresse, c’est là où je suis attendu par mes clients, c’est de regarder à la fois entre l’opérationnel et les besoins des opérationnels car ils ont besoin de quelqu’un dans leur projet, qui soit compétent et en qui ils peuvent avoir confiance. Quand je parle de confiance, c’est indiscutablement dans la qualité du travail qui est fait. Ils vont l’analyser par rapport au choix du professionnel, mais aussi dans le respect de certaines règles commerciales vis-à-vis du client final. Ça permet un équilibre dans l’écosystème.
C’est important, parce qu’on voit poindre des demandes où il y a des schémas, des encadrements juridiques qui viennent encadrer la sous-traitance, la prestation de service, le salariat, le portage. Et c’est normal. Avec tout ça, il faut qu’on arrive à faire en sorte que les points de crainte des clients et des portés puissent être gérés au mieux. Sachant qu’il n’y a jamais zéro risque.
La loyauté peut-elle se contractualiser, se textualiser ?
Légalement, on a dans le contrat de prestation et dans le contrat de travail, c’est-à-dire en droit commercial et en droit social, un principe qui s’applique aux relations contractuelles : chaque partie doit exécuter loyalement ces obligations. Une exécution royale pour un salarié, c’est de réaliser sa mission et ne pas aller à l’encontre des intérêts de l’entreprise.
En portage, ne pas aller à l’encontre des intérêts de l’exécution de sa mission et aller à l’encontre de l’intérêt du client pour lequel il est en train de travailler. Et dans cette loyauté, il y aurait logiquement le fait de ne pas aller démarcher directement le client final. Ce sont les principes de loyauté qui existent de la même façon en prestation. La loyauté, c’est : “Je te demande des choses et moi j’exécute des choses dans un cadre qu’on a prédéfini ensemble”. La grosse difficulté est qu’il y a des principes de droit généraux. Comment est-ce qu’on les fait respecter? Et comment, éventuellement, parce que parfois c’est un peu la jungle, on peut avoir une mention qui puisse être coercitive ? C’est important de rappeler la règle et de se demander comment sensibiliser les acteurs.
Quand on peut, on choisit ses partenaires
Pareil avec les clients. Qu’est-ce que le travail de demain ? C’est la valeur du travail. C’est la valeur des relations que j’ai avec mes clients. J’ai des relations de fidélité, de déontologie. Effectivement, je ne dis pas que j’attends la même chose de mon écosystème, mais naturellement, si je vais travailler avec un concurrent direct ou sur un sujet qui est complètement en concurrence, je vais en parler avec mon client avant.
Les grandes entreprises à rassurer sur le portage salarial
La problématique que je vois aujourd’hui dans l’écosystème et dans le développement du portage, c’est que les grands comptes, les grosses ESN, les gros intermédiaires, ont besoin d’être rassurés. Et ça se comprend. Ils ont des clauses juridiques qui sont formatées, ils ont des process qui sont formatés. Je ne vais pas du tout casser du sucre sur l’informatique parce qu’il y a pleins de choses qui sont formidables, mais beaucoup sont processées et il faut que ça rentre dans ces cadres : process informatique, process juridique et des clauses standard. Hors, le portage qui est à la croisée, va nécessiter une adaptation de ces clauses. Notamment des concurrences et des bonnes fois dans l’exécution. Tout cela pour faire en sorte de sensibiliser et d’obliger le client donneur d’ordre intermédiaire, de dire à la ressource qu’elle ne doit pas aller en frontale chez le client final. Ce qu’elle ne fait pas toujours.
Si je regarde le monde du portage, on est sur du court-terme
Au niveau du portage, on n’est pas du tout sur du long-terme. On est sur un enjeu de digitalisation très forte.. Qui, au contraire, accentue l’immédiateté. On est dans un enjeu de concurrence exacerbée dans l’opérationnel et l’immédiateté.
Pour pouvoir s’inscrire, pour être mieux référencé, pour être celui qui va remporter le lead demain, ce qui va compter, c’est aussi d’avoir créé depuis de nombreuses années cette relation de confiance. Je vois chez mes clients dans l’environnement du management de transition, chez les EI, les grands comptes informatiques, etc, ce qui va faire la différence aussi c’est le travail de fond de relation commerciale, de partenariat qu’ils ont construit au fil du temps. Cela fait qu’ils sont reconnus grâce leur qualité de gestionnaire, leur déontologie et leur transparence.
Laisser le temps à la confiance d’éclore
Le fait d’avoir travaillé depuis un certain temps avec des clients peut parfois faciliter le fait qu’on va privilégier votre proposition à une autre. Cela existait avant. Mais il faut être rapide. D’un autre côté, on se rend compte aussi qu’il faut du temps. Et je le vois notamment dans le travail vis-à-vis des portés : soit le porté va rester superficiel et va s’attacher à un prix de frais de gestion, soit il va prendre le temps et prendre le moment d’expliquer le portage, pour rassurer, pour expliquer comment ça fonctionne, pour montrer les avantages. Et là, on a besoin d’un temps pour inscrire la relation de confiance, puisque dans ces relations tripartites, c’est la confiance qui doit jouer.
Le temps du droit n’est pas le temps de l’opérationnel
On est confronté au fait que le droit n’est pas adapté sur tous les points aux demandes formulées par des clients et les opérationnels. Après, on a aussi le fait que les directions juridiques de la plupart des clients ignorent encore complètement le mécanisme du portage. Ils restent dans des schémas préexistants de B2B. La prestation de service, qui fait sens, mais n’est pas complètement adaptée au cadre légal, pourtant bien plus sécurisant, du portage salarial.
Parce que si on respecte bien le cas de recours du portage et la lettre du contrat commercial de prestation de portage salarial, la loi écarte automatiquement la qualification de prêt de main d’œuvre illicite ou de délit de marchandage. C’est une sécurisation énorme.
Le temps du droit doit-il être celui de l’opérationnel ?
Ce n’est pas possible parce que le droit a besoin de prise de recul. Il essaie de s’accélérer. Mais puisqu’il ne peut pas avoir cette agilité, parce qu’il a besoin d’une maturité et qu’effectivement on peut parfois le regretter, on peut tout de même être ingénieux. Je pense qu’on peut introduire de la souplesse avec un temps d’explication sur tout ce qui entoure la contractualisation et donc faciliter la construction de ces relations tripartites en mettant un coup de projecteur sur ce que veulent les parties.
Puisque le droit, aujourd’hui, n’encadre pas tout et ne permet pas autant d’agilité qu’on a besoin, il faut l’introduire dans les présentations, dans les pourparlers, dans les préambules des contrats. Plantons le décor et ça permet de rappeler au porté quelles sont ses obligations, dont sa loyauté ; ça permet de rappeler au client pourquoi il a demandé telle intervention et quel est le rôle de l’EPS ; et ça permettra au juge, en cas de difficulté ou lorsqu’on a besoin de se reposer autour d’une table dans un comité de pilotage, de se dire : “Ok, qu’est-ce qu’on a mis et c’était quoi le terrain de jeu qu’on a décrit dans le préambule ?”
Je pense qu’on ne peut pas tout contractualiser
Je vais dire les choses autrement. Aujourd’hui, comme de toute façon ce n’est pas une des préoccupations du gouvernement, on n’aura pas de changement légal immédiat en droit social. On a eu des avancées très importantes en droit commercial en 2016, qui nous permettent vraiment de réinterpréter des contrats. Et c’est pour ça que je pense que tout ce qui est information préalable et préambule peut nous aider. Et l’agilité du juriste sera présente sur le fait de planter le décor. La difficulté qu’on a, porte sur comment planter ce décor avec des systèmes processés, avec des modèles types.
En prenant le temps de construire
Avec des propositions commerciales, avec des annexes complémentaires éventuellement, ou avec un préambule aménagé. Sans modifier trop de clauses, avec un peu de prise de temps en amont et une phase d’explication sur le rôle des parties. A mon avis, avec une définition des rôles, on arrive à bien travailler sur ce que j’appelle l’entreprise étendue. Mais avec différents modes de systèmes, parce qu’on peut avoir des employeurs, des coopératives, des entreprises de portage, etc. Je ne voudrais pas être trop sur le juridique.
Certains jeunes trop court-termistes
Le point toujours délicat, ce qui est à la fois passionnant et compliqué, c’est que ces indépendants en portage salarial qui soit à la fois nos clients, nos partenaires vis-à-vis du client final et nos salariés sont confrontés à des contraintes du droit du travail qui ne sont pas celles du droit commercial. On ne pourra jamais mettre un carré dans un rond. Et je ne veux pas faire de clivage générationnel mais je vois beaucoup de jeunes, très valeureux, mais certains vont regarder chaque ligne et vont demander de la valorisation, de l’optimisation sociale systématique. Pour le coup, on est dans du court-terme. J’ai quand même tendance à dire : si vous ne payez pas de charges sociales, vous envoyez quand même votre conjoint à l’hôpital et vos enfants vont à l’école publique.
Une globalité plus large que l’individu
Alors, le travail du juriste est un travail souvent solitaire. Même si on est freelance, on s’inscrit dans un écosystème pour avoir des missions, on doit respecter ses clients pour avoir des clients demain. Et je pense qu’il y a des choses à optimiser. C’est une aberration qu’un certain nombre de frais réels et justes pour le salarié porté ne soient pas pris en compte. Par exemple sur les besoins d’acquérir un PC. Il faut arriver à sécuriser des cas de frais logiques lorsque vous démarrez une activité ou lorsque vous êtes en activité sur des matériels informatiques. En plus, aujourd’hui, le digital est indispensable.
Un indépendant doit avoir des fonds pour son matériel plus rapidement
Il faut tenir compte de l’environnement de travail. Je ne prendrai pas le terme “optimisation”. C’est à partir de mes disponibilités. Je vais avoir de la rémunération et j’ai besoin de rémunération, comme tout salarié aujourd’hui, je suis confronté à une évolution du cadre des retraites, est-ce que ça ne fait pas sens que je puisse bénéficier aussi d’un PEE Perco ? Et il faudra sécuriser cela de telle façon qu’il n’y ait pas de requalification pour l’entreprise. Et ça fait sens avec les évolutions actuelles, où on incite les salariés et les entreprises à constituer des sommes pour la retraite.
C’est aussi se dire que si je veux travailler en indépendant, j’ai aussi besoin de matériel. Parce que l’entreprise ne s’en rend pas compte mais fournir un certain nombre de matériel quand je veux et à mon prix, signifie aussi qu’il ne faut pas que je sois en deçà du marché car il faut que cela intègre ce besoin. Et ce n’est pas logique que ce besoin de matériel arrive en fin de course, après l’impôt sur le revenu. Ça doit être équilibré, et je prendrais vraiment la balance de la justice, qui me paraît assez parlante comme image. C’est juste et ça fait sens, si ça va dans un esprit en cohérence avec ce qui fait qu’on a créé ce dispositif. Si ça vient pour de l’optimisation de revenus, ça n’a pas été créé pour de l’optimisation de revenus. Le PEE Perco a été créé pour encourager la capacité à créer une retraite complémentaire ou une retraite ou des éléments venant bonifier la retraite de demain. En portage, on sait qu’on a besoin de telles choses. Après, ça va dépendre des missions mais en tout cas, qu’on arrive à sécuriser le matériel. Le cadre légal, malheureusement, ne le permet pas.
La loi et de l’esprit de la loi
C’est pour cela que j’ai parlé de préambule tout à l’heure. Quand vous utilisez un texte de loi, des questions et des limites se posent quand vous le détournez. Par exemple, il y a les évolutions probables des sous-traitants en formation avec Qualiopi. Les gens sont partis tête baissée en se disant : il y a de l’argent à se faire, on va faire du portage Qualiopi. En revanche, une entreprise de portage va vérifier de toute façon les compétences, qualités et les domaines d’expertises du salarié porté, qui est une experte dans la gestion, dans les process et qui fait attention aussi à ce que des règles soient respectées. L’entreprise est tout à fait légitime à accompagner ces portées formateurs ayant la compétence de formateurs pour le faire.
Envie de découvrir d'autres contributions ?
Au total 20 contributeurs pour le travail demain