Notre contributeur

Fabrice Schwalm

Métier / fonction : Consultant excellence relationnelle et performance collective
Domaine d’activité : Organisation du travail, conduite de transformation, direction de projet
Vous en un mot : Être et savoir

“Le travail, c’est gérer de la relation.”

“Lorsque les entreprises et leurs managers auront compris qu’ils ont tout intérêt à faire le pari de l’intelligence collective, à lâcher-prise sur le contrôle, sur la planification, sur le command and control pour faire confiance à leurs équipes, elles s’en sortiront par le haut.”

“Une entreprise qui sait organiser le débat, le fait de travailler ensemble, c’est une entreprise qui va générer de la complexité positive. Et de cette complexité positive, l’entreprise trouvera les meilleures régulations et gagnera en performance. On touche là à la systémique.”

“L’individu a juste besoin d’avoir les moyens de faire correctement son travail et d’en être fier.”

La qualité relationnelle et l’organisation capacitante comme facteurs clés de la performance des entreprises et des organisations

Il est important de savoir ce qui nous a fait arriver là. Pour commencer, une petite phrase en liminaire que j’aime beaucoup: “Les conditions du travail objectif s’améliorent, mais les conditions du travail subjectif se détériorent”. Cela amène aux discussions qu’on a autour du travail de demain. C’est-à-dire que n’oublions pas que ça fait finalement juste un petit siècle que l’organisation scientifique du travail s’est penché sur ce sujet. En un siècle, nous sommes passés d’une économie tournée autour de l’agriculture, à l’économie qu’on connaît aujourd’hui. On est en train de parler d’intelligence artificielle, et on a fait ça en moins d’un siècle. 

C’est le rythme qui correspondait, à mon avis, au mouvement que l’on a vécu. Parce que, de toute façon, au niveau sociétal, et voire même individuel d’ailleurs, on ne va jamais ni trop vite, ni trop doucement. Naturellement, on adopte le tempo qui nous convient. Des fois, évidemment, subjectivement, on a l’impression d’aller soit trop vite, soit pas assez vite.

Trouver le bon tempo

Quand on fait le retour de l’expérience on se dit souvent que les choses sont arrivées au moment où elles devaient arriver. Ou pas. Mais le tempo, c’est celui qui nous convient à un moment de notre vie. C’est pareil pour la société. Et la société évolue à son rythme, au tempo qui est le sien, et c’est ni trop vite ni pas assez. La seule question à se poser d’un point de vue sociétal, c’est la capacité d’adaptation des hommes et des femmes derrière les organisations. Même sur ce sujet, les hommes et les femmes qui sont dans les organisations useront de tout leur poids pour faire de la résistance au changement et freiner les ambitions un peu trop précipitées des managers et des organisations. Dans tous les cas, l’organisation va toujours à son rythme. Première parenthèse que je referme, mais je reviens sur le fait que les conditions du travail objectif s’améliorent. Quand on regarde dans le rétroviseur, nos conditions de vie se sont améliorées de façon très significative depuis ces dernières années. Et ça s’accélère. En revanche, ce qui m’interpelle c’est que, depuis une bonne dizaine d’années maintenant, on a le sentiment que les conditions de travail se détériorent. 

Interroger notre perception

C’est la partie subjective à laquelle nous sommes tous contraints et qui, quelque part, préside nos prises de position et à nos ressentis sur les choses. Il faut accepter cette part subjective et parfois non rationnelle. C’est propre à la nature humaine.  Nous devons acter le fait que le sentiment général des collaborateurs dans les entreprises laisse à penser que les conditions de travail se détériorent. 

Même si, objectivement, c’est faux. Aller voir un atelier d’il y a 30 ans et un atelier d’aujourd’hui dans une grande entreprise. En termes de sécurité, en termes d’ergonomie du travail, les choses se sont considérablement améliorées. Dans un autre domaine, pour le travail de bureau, l’accès aujourd’hui à des outils informatiques performants et dès demain à des technologies d’intelligence artificielle, vont nous simplifier la tâche. 

Identifier ce décalage de perception

Nous sommes dans une période de transition. Je crois qu’on est en train de passer de l’ère de l’organisation à l’ère du management, de l’ère des process à l’aire de l’accompagnement des hommes et des femmes en situation de travail. Et je crois que ce décalage prend sa source précisément dans cet écart de perception. Et c’est assez amusant, enfin ce n’est pas le bon mot, mais depuis que je réfléchis à ces questions, un grand paradoxe m’interpelle. Effectivement, tout le monde s’accorde aujourd’hui pour pointer l’importance du facteur humain. Mais globalement, on ne fait pas grand chose, voire rien du tout, sur ce domaine. Une fois qu’on a fait ce constat, on se demande pourquoi. On est tous d’accord intellectuellement, mais dans les faits, il ne se passe pas grand chose. De mon point de vue, la raison tient principalement à la force du statu quo. Les entreprises continuent de délivrer leurs objectifs de performance. Les dirigeants et les managers en arrivent à se poser la question : “mais pourquoi changer?” De toute façon, on continue de délivrer, de faire de la performance, de faire du bénéfice, de servir nos actionnaires. En jouant un peu sur le facteur humain, on pourrait faire encore mieux. Finalement, quand on porte un regard pragmatique, d’un calcul tout bête sur le bénéfice-risque, les managers se disent qu’on peut encore aujourd’hui continuer à faire comme on a toujours fait. Il n’y a aucune raison de changer, en tout cas pas encore. On n’est pas encore dans cette urgence, dans cette injonction de devoir changer pour ne pas disparaître, pour ne pas risquer la désorganisation totale. 

Et c’est le grand paradoxe d’aujourd’hui. On sait que ce serait mieux de le faire, d’agir directement sur le facteur humain, mais on n’en a pas encore besoin. C’est une question qui nous taraude depuis quinze ans maintenant. Et d’ailleurs qui met les managers dans un entre-deux très inconfortable. Parce que les managers sont entre le marteau et l’enclume, entre l’injonction pour les objectifs de performance et de réalisation, et de l’autre côté, l’enclume de la satisfaction de leurs collaborateurs qui rappellent justement leur sentiment de la dégradation des conditions de travail subjective. Et les managers ont bien du mal à sortir de cet écueil. Mais ce qu’on disait en début de conversation et qui peut nous pousser à l’enthousiasme depuis quelques années maintenant, c’est qu’il y a un mouvement sociétal de grande ampleur et très puissant qui est en train de pousser. 

La société pousse l’entreprise à l’action

L’exemple le plus direct et le plus parlant aujourd’hui, ce sont toutes les préoccupations autour de la responsabilité sociale des entreprises, autour du développement durable. Mais aussi autour du désir d’éthique et d’équité dans les organisations. Notamment en ce qui concerne la juste répartition de la valeur.

Les préoccupations des jeunes générations ne sont pas celles de leurs anciens. Ils participent vraiment à accélérer ce mouvement. C’est-à-dire que les jeunes, aujourd’hui, contrairement à ma génération, ont le pouvoir de dire à leurs anciens que ce n’est pas dans la continuité de la direction que vous avez imprimé qu’on a envie d’aller. Lorsque nous arriverons au pouvoir, sachez qu’on fera autrement que ce que vous avez fait. Avec une parenthèse qui n’est pas dite, mais qui est fortement pensée, on ne vous remercie pas de l’héritage que vous nous donnez. Là-dessus, notre génération reçoit une forte aide des jeunes. 

Le travail comme une valeur panthéonisable?

Je crois que le travail est en train de vivre une mutation, mais une mutation à pas feutrés. C’est une mutation qui sera aussi structurante, de mon point de vue, que l’a été l’organisation scientifique du travail.

Elle sera moins fulgurante mais elle sera tout aussi importante. Avec pour point d’orgue une formule que je reprends d’un ancien professeur qui disait, il y a quelques années déjà, “le travail reprend sa place au panthéon des valeurs”. J’avais beaucoup aimé cette formule car elle condense, dans la force d’une petite formule, tout ce qu’on est en train de vivre. Et derrière ça, il y a les grands enjeux qu’on regroupe aujourd’hui dans le grand melting pop de la QVCT : qualité de vie et conditions de travail. Je vous ai dit tout à l’heure la RSE, les attentes et les préoccupations des nouvelles générations, le besoin d’équité. On regroupe tout ça finalement dans le grand melting pot de la QVCT. Pour en faire une lecture un petit peu construite, je vois plusieurs enjeux:

 Les grands enjeux tournent autour de l’engagement, de l’organisation des collaborations horizontales, de la responsabilité sociale et de l’éthique, puis les enjeux qui tournent autour du partage de la valeur et enfin ceux qui tournent autour de la révolution digitale. Parce que cela va vraiment modifier notre rapport au travail. Je ne l’ai pas dit tout à l’heure mais l’origine de ce grand mouvement sociétal de grande ampleur qu’on est en train de vivre dans les organisations, dans le monde de l’entreprise, son déclencheur a été la révolution digitale. Elle a modifié notre rapport au monde. Notre manière de le percevoir et d’en faire partie. Et cela fait que c’est un mouvement de grande ampleur, qui va pousser très fort. Les entreprises ne vont pas y échapper.

Passer de l’intention aux faits

Pour les entreprises, ça ne pourra pas rester des injonctions, ça devra se traduire en réalisations impactantes et transformantes. C’est précisément parce que nous sommes confrontés à un mouvement sociétal de grande ampleur. C’est notre rapport au monde et notre rapport au travail qui est en train de changer. Cette mutation profonde n’est pas un effet de mode. Tout le discours que l’on tient aujourd’hui autour de la QVCT, ne va pas passer comme d’autres modes managériales sont passées. La QVCT aujourd’hui, n’est pas à la hauteur de l’enjeu qu’elle porte. Elle est un peu instrumentalisée, souvent en mode un peu marketing. Cela va être un passage assez furtif. Parce que très rapidement, dans les prochains mois, je ne compte même pas en année, le mouvement profond va être rappelé à l’ordre de tout le monde. Et la QVCT, comme le greenwashing, ne résisteront pas à l’importance de devoir réellement agir sur ces sujets.

L’individu à une juste place dans l’organisation

L’individu a juste besoin d’avoir les moyens de faire correctement son travail et d’en être fier. Si l’organisation lui donne ces moyens, le collaborateur n’aura pas d’autres revendications. Alors, il y a ce premier point : avoir les moyens de bien faire son travail. Et le deuxième point, c’est que l’entreprise baigne dans un environnement agréable, fait de relations interpersonnelles positives plutôt que conflictuelles ou anxiogènes.

Je suis convaincu, et c’est ce que nous portons au sein de Concordance, que ce qui va redonner du liant dans l’organisation, c’est une démarche de qualité relationnelle. Dans mes activités professionnelles de consultant, je porte une double expertise : l’organisation du travail au travers des démarches processus et l’accompagnement des hommes et des femmes au travers du changement et des qualités relationnelles. Et ça fait plus de dix ans que je fais ce métier. Et ma première intuition, ça a été de dire qu’il n’y a pas d’un côté, les processus et, de l’autre, le management. Il n’y a pas, d’un côté, l’efficacité de l’organisation du travail et puis de l’autre, l’implication et la motivation des collaborateurs. Ce sont les deux extrémités d’un même élastique qui participent précisément à la création de la performance. La boucle vertueuse, ce sont des processus efficaces qui donnent aux collaborateurs les moyens de faire correctement leur travail. Et des collaborateurs qui sont bien dans leurs baskets vont nourrir des relations interindividuelles de qualité. Cet environnement de travail se bonifiant, les collaborateurs vont d’eux-mêmes trouver leur propre source d’engagement et de motivation. Dire aux gens : “motivez vous!”, c’est une injonction paradoxale. Dire aux gens : “vous devez vous engager”, c’est une injonction paradoxale.

Redonner aux travailleurs le choix de l’engagement…ou non!

Les managers ne peuvent faire qu’une seule chose : donner les moyens et fournir à leurs collaborateurs le contexte favorable à ce que, d’eux mêmes, ils puissent, de façon volontaire et personnelle, décider de leur engagement ou non, de leur motivation ou non. Mais on ne forme pas les gens à la motivation, on ne forme pas les gens à l’engagement, ce serait vraiment trop simple.

L’engagement et la motivation sont une démarche complètement personnelle. Seul l’individu peut décider pour lui-même ce dont il a envie. La seule chose que peut faire l’entreprise sur ce sujet, c’est de s’efforcer de créer le contexte le plus favorable possible à ce que les individus puissent trouver les ressources dont ils ont besoin pour alimenter leur motivation et leur engagement. 

La responsabilité partagée

Un autre point qu’on ne commente pas suffisamment, sur ce sujet du facteur humain et de l’engagement, c’est la responsabilité partagée. Comme je viens de le préciser, l’entreprise doit créer les conditions favorables. Mais les collaborateurs, de leur côté, portent pour eux-mêmes la responsabilité de s’y inscrire ou pas. Ces sujets président à une responsabilité qui n’est pas unilatérale. Ce n’est pas l’entreprise qui doit tout fournir. C’est aussi, à un moment donné, au collaborateur de prendre un pas de recul, de considérer tout ce que l’entreprise a mis en place et de s’inscrire dans la démarche ou pas. Avec deux postures vis-à-vis d’une entreprise qui, de façon sincère, essaye de mettre en place des dispositifs innovants, des dispositifs d’accompagnement qui cherchent à créer les conditions favorables. De mon point de vue, l’individu doit tenter l’aventure a priori. Et ne pas rejeter d’un bloc toutes les propositions qui sont faites. Le climat social est déterminant. Mais pareil, l’entreprise doit créer les conditions favorables à ce qu’un climat social soit propice à ce que les gens, dans l’organisation, trouvent des bonnes conditions de travail et des bonnes relations. Ce point sur la responsabilité partagée, me semble important à souligner. Ça va dans les deux sens. 

La bataille du sens se fait aussi dans le management

Un autre point que je voulais développer avec vous, c’est que le management devient pour moi une bataille du sens. Pour en finir avec la contrainte qu’on a toujours connue, à laquelle nous avons été biberonné, vous et moi. La relation de travail, c’est travail contre salaire, tu viens dans l’entreprise tu fourniras ta force de travail et moi, je te donnerai un salaire pour pouvoir vivre. Aujourd’hui, nous sommes en train de modifier notre rapport au travail de la contrainte, au plaisir, du travail contre salaire, à l’engagement contre la reconnaissance. On commence à voir se dessiner les pistes qui vont nous amener vers notre futur désirable, que l’on souhaite mettre en place. Et j’en viens à trois propositions, qui passent d’abord par les managers : réinventer de nouvelles formes de management qui soient plus à l’image de la société dans laquelle on vit, qui soit plus inclusive, qui soit plus responsable et plus accompagnante. En gros, je fais toujours ce parallèle entre l’évolution de la société et l’évolution des pratiques de management dans les entreprises, parce que l’une est liée à l’autre. 

Aujourd’hui, on exhorte les managers à l’autonomie, à plus de reconnaissance de la diversité, à devenir des leaders, de sortir de leur posture de command and control. Tout ça ne vient pas de nulle part. C’est parce que la société pousse à des comportements sociétaux plus inclusifs, plus responsabilisants et plus dans l’accompagnement des gens. Ça se traduit, naturellement, dans cette demande d’évolution des pratiques managériales. Une fois que c’est dit, il faut l’instrumentaliser. Il n’y a pas de fatalité, il y a moyen de faire tout ça. Deuxième point : faire le pari de l’intelligence collective. Lorsque les entreprises et leurs managers auront compris qu’ils ont tout intérêt à faire le pari de l’intelligence collective, à lâcher-prise sur le contrôle, sur la planification, sur le command and control pour faire confiance à leurs équipes, ils sortiront par la voie du haut.

Le pari du lâcher prise

Quand toutes les initiatives de managers ou d’entreprises vont sur des principes de management et d’organisation innovants, on parle de l’entreprise apprenante, de l’entreprise libérée, de ce grand mouvement des équipes autonomes. On se rend compte que si on donne le cadre favorable à une équipe et qu’on lui lâche un peu la bride, elle génère plus de performances que ce qu’on aurait pu imaginer lui demander.

Quand j’étais en position de directeur de projet, ce que j’avais plaisir à faire, c’est de réunir mes équipes et de leur dire : “Je connais les objectifs qui me sont assignés, mais je ne vais pas vous les dire. En revanche, donnez-moi, vous, les objectifs que vous pensez raisonnablement être capable d’atteindre en termes de coût, qualité et délais”.

L’équipe libérée va au-delà des objectifs envisagés

C’est la magie de l’intelligence collective. Une équipe solidaire qui nourrit de bonnes relations se sent véritablement en confiance. Et cette confiance génère une projection bien plus positive que le facteur anxiogène qui pourrait arriver en leur disant : “Nous avons pour objectif de délivrer la semaine prochaine un projet important et, bien évidemment, en qualité totale”. Une chose qui ne peuvent pas faire parce qu’ils n’ont pas la ressource. 

Les managers un peu courageux qui font ce pari de l’intelligence collective peuvent avoir l’assurance que s’ils arrivent à créer autour d’eux un collectif solidaire, l’équipe atteindra, voire dépassera, les objectifs de performance.

La qualité relationnelle: une compétence cardinale

Après avoir réinventer les nouvelles formes de management, de faire le pari de l’intelligence collective, on arrive au troisième point. Il m’est particulièrement cher, puisqu’il est lié aujourd’hui à mon activité, c’est d’instituer la qualité relationnelle au rang de compétence cardinale. Je vais encore même plus loin, c’est de proposer aux entreprises de penser à cette éventualité, de faire de la qualité relationnelle un asset stratégique de l’entreprise. Et parce que la qualité relationnelle et le climat social au sein de l’entreprise seront considérés comme des assets stratégiques de l’entreprise, alors les dirigeants et les managers vont ressourcer et pérenniser des dispositifs ad hoc qui permettront à leurs collaborateurs de monter en compétence sur cette dimension.

Aujourd’hui, on est dans la prise de conscience. Tout à l’heure, on a tiré le fil en partant du grand paradoxe que tout le monde s’accorde sur l’importance du facteur humain mais que, globalement, on ne fait pas grand-chose. Je parle à mes clients de l’importance d’agir efficacement et de façon très ciblée sur ce sujet, d’outiller, de mettre un peu de méthode et de mettre en place des dispositifs qui vont fabriquer de la qualité relationnelle dans les équipes. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui m’a pris pour un extraterrestre. Tout le monde est intéressé. Mais la deuxième question est beaucoup plus difficile. 

Maintenant, si je demande aux managers ce qu’ils feraient pour passer à l’action, il y a un grand temps de réflexion. Passer à l’action, c’est encore une autre question. Et aujourd’hui précisément, ce qui est difficile pour les managers, c’est ce passage à l’action. Et pourquoi ? Tout simplement parce que ce sont des démarches qui ne sont pas structurées et les managers, les dirigeants, les entreprises ne savent pas comment faire. Ne sachant pas comment faire, ils restent dans le statu quo qu’on soulignait tout à l’heure au début de notre conversation.

Si le manager ne sait pas, à quoi sert-il?

Je comprends les managers qui hésitent à franchir le pas. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui nous sommes encore dans une culture managériale qui est fortement ancrée de l’héritage de Taylor du command and control. C’est ce qu’on leur a appris à l’école, c’est ce qu’on leur a demandé de faire dans l’entreprise depuis qu’ils sont en poste.

Le changement de posture consiste simplement à dire au manager : votre responsabilité, c’est d’être le créateur et le garant de l’environnement favorable dont on parlait tout à l’heure. Mais pour faire ça, il va falloir changer de posture. Changer de posture, c’est passer  d’une posture de command and control à une posture d’accompagnant. Et c’est assez paradoxal car le job du manager, a priori, c’est de s’occuper du facteur humain. Et pourtant, depuis Fayol, depuis le début de l’entreprise qui se structurait, on a demandé aux managers d’être des gestionnaires, on a demandé au manager que les choses soient réalisées en temps et en heure, et on lui a demandé de rapporter les tableaux de suivis, les tableaux de contrôles. 

Le facteur humain a historiquement été laissé à la responsabilité du manager. Il y a des managers qui ont ces fibres relationnelles et qui, naturellement, en tant que personne humaine, adoptent un management en phase avec les attentes des collaborateurs. Et il y a d’autres managers qui sont de purs gestionnaires, qui n’ont même pas la perception. J’en ai déjà rencontré et ils n’ont pas conscience de l’importance de leur rôle de leadership vis-à-vis de leurs équipes.

Et donc tout ça pour dire que jusqu’à aujourd’hui l’entreprise et ses dirigeants se sont déresponsabilisés. Ils ne portent pas le facteur humain. C’est assez amusant, dans tous les champs de l’organisation scientifique du travail, l’entreprise a mis des processus sauf sur le management. Pourquoi ? Parce que l’entreprise a bien compris que c’était super compliqué d’intervenir sur ce sujet. Et finalement, elle a laissé la responsabilité à ses managers.

Plus de responsabilité ET plus d’accompagnement

Ce fameux paradoxe autonomie-contrôle. Mon point de vue sur ce sujet est assez pragmatique. Ce n’est pas un modèle contre l’autre, ce n’est pas le command and control contre le leadership, c’est l’un et l’autre. Il ne faut pas jeter les principes de l’organisation du travail, qui nous ont été très utiles à la planification, au reporting, au contrôle. L’anticipation des risques, la discipline du management, sont des choses essentielles. Il ne s’agit absolument pas de prétendre que tout ça est à jeter. Parce qu’on en a besoin, tout simplement. 

Mon approche pragmatique consiste à dire qu’il faut aller prendre le meilleur dans chacun des registres d’action du manager. Le manager a un double rôle : un rôle de leadership, un rôle de créateur de contexte favorable, mais aussi un rôle de gestionnaire. On ne peut pas l’enlever mais il faut qu’il arrive à concilier intelligemment ces deux rôles. Et à changer de registre d’action quand il y en a besoin. Il ne faut surtout pas qu’il devienne schizophrène. Il faut que le manager utilise pour lui-même ce dont il a besoin lui-même. Il faut qu’il aille chercher lui-même les ressources et les méthodes dont il a besoin pour faire correctement son propre travail. Le manager, comme les collaborateurs, cherche une seule chose, c’est d’avoir le moyen de faire correctement son travail. Sur ces deux registres d’action, enfin il y en a trois, parce que le manager a trois rôles : manager, diriger, coacher. Mais il faut qu’il arrive à avoir cette intelligence situationnelle, à mobiliser les principes et les postures managériales du dirigeant, du coach ou du manager en fonction du besoin, de la situation. Et le management n’est pas quelque chose de pur.

Naviguer en zone floue

Le monde d’hier était finalement assez facile pour le manager, puisqu’il était en terrain connu : économie stable, donc, capacité de se projeter à long-terme, de mettre en place des méthodes rationnelles, des méthodes articulées sur le contrôle, articulées sur la planification, et ça suffisait amplement à faire de la performance. Mais l’économie devient très instable. Les entreprises sont soumises à des changements perpétuels, sont dans l’incertitude, sont dans la complexité du rapport au monde, du rapport au business, du rapport aux relations qu’elles entretiennent avec leurs parties prenantes. C’est un élément de complexité nouveau. Avant, les pouvoirs publics donnaient les règles du droit du travail puis l’entreprise était face à ces règles. L’entreprise était en face de ses clients. Aujourd’hui, les entreprises sont dans des écosystèmes complexes. Il n’y a plus d’entreprise au sein d’un cadre juridique et contractuel bien connu et délimité. Ce n’est plus l’entreprise face à ces clients, elle est dans ses relations avec toutes ces parties prenantes : ses clients, ses fournisseurs, voire même ses concurrents. 

L’entreprise baigne dans un magma de complexités et d’incertitudes. Ça a vraiment changé la donne. Là où, hier, on était capable de projeter une action à trois, cinq, dix ans sur la direction stratégique à long-terme ; aujourd’hui, une entreprise est bien en peine de faire une planification stratégique à plus de trois ans. Ça ne marche plus. Parce que, qui sera là demain ? Quels seront les impacts et la portée des évolutions technologiques ? Comment vont évoluer les contraintes qui vont se faire de plus en plus pressantes autour du développement durable et des ressources énergétiques et de matières premières. 

Je serais bien en peine de vous projeter ce que sera le monde dans trois ans vis-à-vis de ces deux questions importantes. Et on verra bien comment ça va évoluer. Nous baignons dans un monde d’incertitude et ça se traduit dans les entreprises. Les managers, les dirigeants, les entreprises vont devoir apprendre à gérer la complexité, à gérer l’incertitude. 

La systémique comme outil de lecture de la complexité

Je suis vraiment très confiant, La marche est haute, mais on ne part pas de rien. Pourquoi ? Car des gens pensent, depuis plus de 50 ans, la discipline qui apporte des réponses concrètes à la gestion de l’incertitude et la complexité. Ça s’appelle la systémique. Et je suis un de ses praticiens. Ça nous a donné les outils et les méthodes concrètes pour pouvoir, avec beaucoup de sérénité, nous lancer concrètement à la conquête de la maîtrise de cet environnement complexe et incertain. Donc la complexité et l’incertitude ne sont pas une fatalité qui nous mettraient dans le désarroi, dans l’incapacité d’agir. Parce que la systémique a déjà fait le travail. Il suffit simplement aujourd’hui de redécouvrir cette méthode.

Le rapport au temps pour lire la complexité

La notion temporelle est un grand facteur de complexité dont il est impératif de savoir le gérer. Et puis la complexité, à avoir avec un dernier point, c’est l’observateur lui-même. C’est-à-dire que nous sommes des êtres à rationalité limitée : nous interprétons le monde et cette interprétation est sélective Les interactions, le flou, l’ambiguïté, l’incertitude et puis le positionnement même de l’observateur fait partie du système et donc le biaise. C’est un grand principe de sciences, le scientifique qui fait une expérience, son grand enjeu, précisément, c’est de faire en sorte qu’il ne mette pas de lui dans l’expérience mais c’est impossible. L’expérience 100 % pure n’existe pas.

Plus de complexité et moins de complications !

Le mal des entreprises, ce n’est pas leur complexité. Au contraire, c’est leur manque de complexité… et leur excès de complications. C’est un peu paradoxal. Les entreprises, aujourd’hui, souffrent d’un mal et de tumeurs cancéreuses qui sont liées au fait qu’elles ajoutent de la complication à la complication et que, précisément, elles ne savent pas, parce qu’elles n’ont pas les outils, elles n’ont pas les méthodes. 

La complexité est le fruit des dynamiques croisées, interactionnelles entre les systèmes, les personnes et entre les processus. Elle a à voir avec le flou, cette impossibilité de décrire les choses dans leur moindre détail. La complexité est à voir avec l’ambiguïté. A savoir que la réalité n’est pas toujours ce qu’elle semble être parce que nous interprétons, nous avons des biais d’interprétation du monde et des choses. La complexité est aussi liée avec l’incertitude : le futur est imprédictible par nature, mais pour autant, dans l’entreprise il faut qu’on trouve des moyens de transformer cette incertitude en horizon temporel défini et maîtrisable. Et c’est là toute la complexité de l’entreprise et de l’organisation du travail : c’est comment je transforme de l’incertitude en séquence temporelle que je peux maîtriser. C’est la grande question de l’organisation.

L’entreprise, un enchevêtrement de relations

Des relations entre personnes, entre systèmes, entre processus, relations croisées complexes entre les personnes et les systèmes, entre les personnes et les processus, entre les systèmes et les processus et entre les systèmes eux-mêmes. Tout ça, c’est un beau maelstrom. Et le travail de demain consistera à appréhender toute la complexité de ce tissu interactionnel et à trouver les régulations optimales qui permettront de mieux travailler et de réinterroger les façons dont on organise l’activité et le travail. Pour le dire en deux mots, le travail, c’est gérer de la relation. 

Une fois qu’on a explicité cette passerelle, on va se dire que nous avons dans notre besace, des outils, des méthodes et surtout, une discipline qui va nous permettre d’y voir plus clair et de faire le tri et d’agir utilement sur ces questions éminemment complexes. Et cette discipline, c’est la systémique. Et la systémique a été théorisée il y a plus de 50 ans. 

Partager les représentations pour aller vers une meilleure lecture de la complexité

C’est dans le dialogue qu’on va partager nos représentations et qu’on va faire émerger une connaissance nouvelle qui sera de facto plus factuelle que les connaissances individuelles de chacun. C’est la raison pour laquelle, dans l’entreprise, c’est tellement fondamental d’apprendre à travailler ensemble. D’ailleurs tiens, c’est un point à mettre dans le travail de demain. Il sera forcément collectif. Le travail de demain, ce sera la capacité de l’organisation à coordonner les actions des uns des autres mais aussi à créer la coopération et à révéler l’intelligence collective.

Une entreprise qui sait organiser le débat, qui sait organiser la discussion, qui sait organiser le fait de travailler ensemble, c’est une entreprise qui va générer de la complexité positive. Et de cette complexité positive, l’entreprise trouvera les meilleures régulations et gagnera en performance. 

Travailler ensemble: c’est beau et utile.

Faire travailler les gens ensemble est, selon moi, la seule bonne solution. D’ailleurs, ce n’est pas anodin si je me suis complètement investi dans le projet de Concordance sur la qualité relationnelle. Parce que c’est en installant des bonnes relations à l’intérieur du collectif, que ce collectif va pouvoir, en injectant du savoir être, arriver à faire émerger précisément son savoir-faire. 

Quiconque réfléchit deux secondes à cette question-là dans l’entreprise sait intuitivement que l’entreprise est avant tout une histoire d’hommes et de femmes réunis pour produire quelque chose autour d’un objectif commun. Un projet avance ou aboutit quand les gens s’entendent bien. Un patron d’entreprise qui sait que la richesse de son entreprise, c’est la qualité de son tissu social, on n’a rien à lui apprendre. 

Mais même s’ils te disent facilement qu’il ne jurent que par l’organisation, par les processus, par les procédures, ils ne jugent que par les systèmes formels d’organisation du travail. Bien sûr, ces patrons vont te dire que le moyen de faire travailler des gens ensemble, c’est de mettre sous contrôle tous les dispositifs qui visent à la coordination. Il n’empêche que, même eux, l’ont vécu et ils le vivent tous les jours : ce qui fait la différence entre deux équipes, c’est le bien-être social à l’intérieur du groupe. Et c’est là qu’on touche au cœur du problème de beaucoup d’entreprises et de managers aujourd’hui. Intuitivement, ils le savent, et tu ne trouveras jamais personne, jamais un manager qui te dira que le facteur humain, ce n’est pas important, on s’en fout des hommes, s’il pouvait n’y avoir que des processus dans les entreprises, ce serait plus simple.

Il y en a aucun qui te tiendra ce discours qui consiste à dire qu’on n’a pas besoin des hommes et des femmes dans l’entreprise. Surtout aujourd’hui, le facteur humain n’est pas une variable d’ajustement négligeable. 

Mais entre le dire et réussir à trouver les volets opérationnels ou la manière…

on ne sait pas comment faire. Le vrai problème des managers aujourd’hui, c’est qu’ils ne savent pas agir sur la complexité des tissus relationnels dans l’entreprise ; ils ne savent tout simplement pas faire. Ne sachant pas faire, ils s’accrochent aux vieux réflexes de l’organisation scientifique du travail qui leur a promis depuis plus d’un siècle qu’il est possible de coordonner le travail et qu’on peut s’en tenir là. Et la coordination brute a marché à une époque, dans l’environnement du début du XXe siècle, qui était complètement différent de celui qui est le nôtre aujourd’hui. L’environnement du début du siècle de Taylor, et il faut le rappeler, c’était la production de masse, c’était apprendre à des paysans à devenir ouvriers, c’était une économie qui était en demande, une croissance, une capacité à faire des plans stratégiques pluriannuelles, prédictibles. Parce que le monde dans lequel on vivait était un monde prédictible. Les managers pouvaient très bien faire le sacrifice de la coopération sur l’autel de la coordination. Mais depuis les années 2010, le monde a changé et devient complexe, imprévisible, soumis à des aléas. La société bouge. 

On est en train de passer d’un monde compliqué à un monde complexe. Précisément, c’est ça le problème. Les managers et les entreprises, aujourd’hui, ont bien du mal à prendre ce virage de la complexité. Tout simplement parce qu’elles ne savent pas faire. Et ne sachant pas faire, je reviens à ce que je disais tout à l’heure et j’insiste quand on ne sait pas faire quelque chose, on essaie de se raccrocher aux branches de ce qu’on sait faire, plus ou moins bien. Soit, la branche de l’organisation, de la coordination scientifique du travail. Mais ça ne veut pas dire pour autant qu’ils ne sont pas en souffrance. Et précisément, je pense que les managers qui étaient des managers à l’ancienne doivent souffrir de cette situation, souffrir de cette incapacité qu’ils ont à gérer et voir même à générer la complexité dont on parlait tout à l’heure. Et c’est là où on va continuer à tirer le fil de la systémique : bien gérée, la complexité est une source d’invention permanente, c’est un facilitateur de changement et c’est un catalyseur de diversité pour l’entreprise. Invention, innovation permanente, capacité d’adaptation au changement et intégration des diversités, qu’est-ce que c’est ? C’est le monde dans lequel on vit aujourd’hui, c’est rien de plus que ça. Et ce qu’on demande aux entreprises aujourd’hui, c’est précisément d’apporter des réponses à ces trois points. Et elles ont bien du mal, parce qu’elles ne savent pas le faire. 

La systémique: donner le sens et la finalité de l’action

La planification, la gestion de projet, les diagrammes de Gantt… on a développé toute une science sur la façon de manager les projets. Dans plusieurs missions où j’étais en responsabilité, en direction de projet, il m’est régulièrement arrivé de recommander à mon client d’abandonner le Gantt, d’abandonner cette illusion du contrôle de l’activité et des phases d’un projet, en séquençant l’activité, en les mettant les unes derrière les autres et en créant des liens entre les activités, et en essayant de caler sur cela le planning de la ressource, en essayant de prévoir chaque acteur, le temps qui passe en ETP et à réaliser une action et le temps qui lui reste à faire. Et tout ça, c’était le rôle du PMO (Project management office) de gérer ça. D’ailleurs on a créé le métier de PMO pour cela. Et la logique systémique consiste à dire: “ok, ça peut être utile, mais essayons de prendre un peu de hauteur et montons d’un niveau, essayons d’envisager la possibilité de gérer le projet par les jalons et les besoins de coordination”. Non pas par Gantt, mais en disant : dans un projet, je donne le sens et j’insiste beaucoup sur le sens et la finalité du projet de façon à ce que chacun la partage, à toutes les échelles de la gestion du projet. Donner le sens et la finalité de l’action, c’est un grand principe de systémique. Donc beaucoup insister là-dessus, et passer le temps qu’il faut en début de projet pour que cela centre vraiment. Pas seulement une réunion et une présentation PowerPoint avec des bullets qui s’enchaînent. Donner le sens, c’est précisément organiser des réunions de travail, d’appropriation, d’intelligence collective en début de projet entre tous les acteurs, précisément pour que chacun des acteurs puisse discuter, partager et créer le sens du projet et au final créer eux-mêmes la finalité. 

L’idée ça n’est pas de dire sur un PowerPoint : voici tous les bullets points qui me font vous dire que ce projet, il a du sens et une finalité. Là ça n’est pas de la systémique ou de la complexité. Au contraire, nous ferions de la complication, car les acteurs du projet qui vont recevoir cette présentation vont probablement sortir de la réunion en se disant que c’est juste infaisable ! Finalement, le directeur de projet, qui a cru bien faire en voulant donner le sens, a deux problèmes à gérer. Le projet apparaît encore plus compliqué aux acteurs que ce qu’il aurait dû. Alors que si tu organises, en début de projet, une vraie réunion de, je dirais brainstorming, dont le seul et unique objectif, c’est de discuter sur le sens, la finalité du projet. Là, tu déclenches quelque chose. 

Le dirigeant doit accepter de se faire challenger par ses équipes

Un manager qui pense avoir tout compris va droit dans un mur. Un bon responsable est quelqu’un qui sait ce que veut dire le mot “humilité” et qui sait ce que veut dire “intelligence collective”. En revanche, les réunions d’appropriation par le sens, doivent être correctement animées. Il ne s’agit pas de réunir tout le monde autour de la table avec comme ordre du jour une simple discussion sur le sens du projet. Non, le débat, c’est quelque chose, c’est presque un art de savoir organiser le débat dans un groupe. L’intelligence collective ne vient pas toute seule. Il faut animer un groupe, c’est vraiment un métier, c’est une compétence. Quand je disais que le premier point, c’est faire partager le centre, mais deuxième point, il faut lâcher un peu prise sur le Gantt pour prendre de la hauteur et en se disant qu’on va piloter par les jalons et les besoins de coordination. Une fois que tout le monde a compris le sens, en tant que directeur de projet, tu leur dis juste une chose : “Nous avons un certain nombre de livrables à produire pour que ce projet soit un succès. Chacun des chefs de projet, sur son périmètre, va devoir contribuer et piloter la réalisation d’un de ces livrables. Moi, directeur de projet, je te demande juste une chose à toi, chef de projet : garantis moi que tu seras au rendez-vous du jalon de la réalisation du livrable. Peu importe la façon dont tu t’organises.”

Tu veux gérer ton projet avec un Gantt ? Fais-le ou non si tu estimes que tu n’en a pas besoin. En tant que directeur de projet, je ne vais pas venir faire de l’ingérence dans ta façon de t’organiser. Par contre, je te demande que tu sois absolument au rendez-vous des jalons, parce que ce sont des lieux de passage et de coordination entre différents livrables du projet.

De la logique du séquencement du projet à une logique de liens entre les jalons

Le rôle du directeur de projet, c’est de répondre aux besoins de coordination et mettre du liant dans tout ce réseau de jalons. Tu es un chef de projet, tu es dans un réseau de contraintes, tu vas certainement attendre des informations, des décisions, des morceaux de livrables des uns et des autres. Souvent, tu vas être confronté à des problèmes de ressources et de délais, de temps de réponse que tu ne maîtrises pas, qui sont liés à ce tissu relationnel complexe. Toi, en tant que directeur de projet, tu te positionnes justement là-dessus vis-à-vis de tes chefs de projet, tu leur dis que quand il y a un problème de coordination, ton job, c’est de les résoudre.

Visualiser les petites victoires pour garder l’adhésion

Je prends soin, dans une logique systémique, de jalonner mon projet de petites victoires rapides. C’est-à-dire que je m’arrange pour que le projet délivre régulièrement des petites choses qui montrent qu’on est sur une courbe de progrès. Je m’efforce de mettre toutes les personnes dans une dynamique positive de réalisation. Et le positif entraînant le positif, c’est l’effet Pygmalion, les gens sont positifs. 

C’est aussi redonner une matérialité aux choses, redonner quelque chose de palpable. Quand je vais sur un grand projet, je risque de perdre le sens ou en tout cas de perdre la finalité. Et c’est là où on va peut être revenir sur la notion du temps. Le temps est important. Le grand sujet des organisations, des managers aujourd’hui, c’est de transformer de l’incertitude en horizon temporel défini dans lequel on sait qu’on a de la maîtrise. Jalonner un projet par petites victoires rapides est utile. J’aime bien avoir un horizon temporel de deux semaines. Tu peux maîtriser ton activité. Je séquence par tranche de quinze jours. Parce que tu peux donner de la visibilité, tu es en maîtrise de ton activité. gérer la complexité, c’est aussi bien gérer le temps.

Process, people, product

Quelle que soit la situation qui est la tienne, tu essayes de la voir sous plusieurs dimensions, sous plusieurs angles. Concrètement, j’utilise le prisme des trois “P” : process, people, product. Soit, les acteurs, (ceux qu’ils délivrent ou devraient délivrer), les leviers et les freins (de l’environnement dans lequel ils évoluent, leurs interactions et leur dépendance réciproque) et leur mode d’action concret. Quelle que soit la situation d’entreprise à laquelle je suis confronté, j’observe cette réalité dans ces trois grandes dimensions. Une fois que j’ai une image à peu près claire de la situation, je vais analyser le système dans ces interactions. Je vais regarder quelles sont les interdépendances, quels sont les liens, parce que la systémique dit que c’est sur les liens que tu peux agir utilement. Et pas sur les composants du système. Ensuite, il faut modéliser le système et construire un système qui porte une image objective de la réalité. Ce qui permet de pouvoir agir en connaissance de cause. C’est une démarche itérative. Tu es invité à te challenger en permanence. En systémique, tu vas faire en sorte de mettre le système en capacité de trouver par lui-même, ses propres modes de fonctionnement et de ne pas lui imposer. 

Finalité, relation, auto-organisation. Si tu arrives à les décliner de façon très opérationnelle et très concrète, tu peux avoir une action très novatrice sur l’organisation du travail et de l’activité.

L’homéostasie notion fondamentale de la systémique

Un système, quel qu’il soit, cherchera toujours à préserver sa stabilité et sa cohérence interne. Sa première réaction sera toujours de résister aux mouvements qui le poussent à agir différemment. Tout le boulot du manager, précisément, c’est de mettre ses équipes en capacité de trouver de nouveaux équilibres homéostatiques. Un bon manager est quelqu’un qui va créer des événements déclencheurs qui vont pousser le système, les équipes à s’adapter à changer leur façon de faire pour aller vers quelque-chose de plus efficace, à changer de registre homéostatique. Mais le manager éclairé sait que ça ne va pas se faire tout de suite, que ça demande beaucoup d’énergie et de patience. 

Et que c’est parce que l’homéostasie est un réflexe de système. Et que, justement, un bon manager va créer les conditions pour que de nouveaux modes de fonctionnement puissent émerger d’eux-mêmes au sein du collectif. Un bon manager est un créateur de contexte favorable. Et il y a des managers super malins qui, de façon temporaire, vont même jusqu’à organiser le conflit entre des personnes. Parce que c’est d’un conflit maîtrisé que va naître un nouvel équilibre relationnel entre deux personnes. Tant que tu n’as pas le conflit, l’équilibre entre les deux personnes va maintenir leur relation. Et parfois, le seul moyen de faire bouger le système, c’est de le chahuter un petit peu. 

Notre rapport individuel à LA réalité

Quand j’ai compris ça, ma vie a changé : le fait de comprendre que les situations peuvent être très différentes de ce qu’elles peuvent être et que chacun se construit sa réalité selon ses propres prismes d’interprétation. La réalité n’existe qu’aux yeux de celui qui se la construit : deux personnes différentes, deux réalités différentes. Si tu veux créer de l’intelligence relationnelle, il faut accepter que l’autre puisse avoir raison, même s’il n’est pas d’accord avec toi. J’aime bien cette vision. Oui, l’autre peut avoir raison, même s’il n’est pas complètement aligné avec ce que tu penses. Et il peut être légitime et être lui aussi dans le vrai, mais de son point de vue à lui. 

“Apprenons d’abord les uns et les autres à s’écouter, à se comprendre et à partager nos réalités individuelles pour construire une réalité collective qui s’approchera un petit peu plus du vrai. Parce qu’elle sera collective”. Pour moi, c’est fondamental en management. 

Finalement, tout va se jouer dans la capacité de l’organisation des managers à entretenir la complexité des débats et des interactions entre les gens. Concrètement, les entreprises et les managers peuvent mettre en place des vrais dispositifs qui vont favoriser ces moments d’échanges et d’interactions entre les gens. Les méthodes agiles l’ont bien compris, en organisant des stands up meeting tous les matins, en organisant des réunions de rétrospective, des réunions de feedback. Les managers le savent très bien. Il y a aussi la formation qui est un élément déclencheur majeur d’organisation du débat, le brainstorming et de plus en plus aujourd’hui les réunions d’intelligence collective, le design thinking. Des méthodes, si on veut en trouver, il y en a plein. Mais l’idée est de multiplier des occasions d’échanges de débats entre les gens.

Et la vraie clé du travail de demain pour moi c’est multiplier, favoriser, organiser les occasions d’échanges et de partages entre les personnes.

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