Notre contributrice

Frédérique Joucla

Métier / fonction : Psychologue du travail / Consultante
Domaine d’activité : Développement des softskills développement de carrière
Vous en un mot : Digital humaniste

“Demain, les entreprises doivent permettre aux employés de construire leur propre bagage de compétences en explorant différents services et en ne les laissant pas toujours au même poste.”

“Il est important de reconnaître que traiter chaque membre de l’équipe de la même manière peut être ambigu et même injuste. Certains pourraient soutenir le contraire, car ils agissent de manière égale envers tous, mais cela suppose que tout le monde est identique, ce qui n’est pas le cas.”

“Il serait bénéfi que d’avoir des cours et des formations abordant la reconnaissance et la satisfaction des besoins humains, ainsi que les mécanismes qui incitent à l’écoute ou au rejet.”

Ne pas hésiter à se jeter dans l’inconnu

Premièrement, je suis devenue indépendante assez tôt. J’ai su me dire que je n’avais pas de structure derrière moi. C’est un peu vertigineux. Il faut pouvoir prendre cette décision aussi. Je suis donc devenue indépendante en 1992, après ma formation de formatrice, où j’ai découvert la psychologie. Après cette formation, j’ai pu être indépendante. Là c’est le premier vertige où tu te dis : “Je quitte une entreprise, je n’ai plus de tickets-restaurant, je perds certains avantages”. À l’époque, je ne connaissais pas le portage salarial et, deuxièmement, on ne cotisait pas, notamment au chômage. Il n’était donc pas question d’aller vers le portage salarial. Donc, j’ai été autoentrepreneure puis d’autres statuts du genre. À ce moment, on accepte de ne pas avoir de structure, de collègues de boulot ou quelqu’un qui me donne du travail sans que je n’aie à chercher.

Je suis donc redevenue indépendante. Un âge où la plupart des gens cherchent plutôt à sécuriser leur fin de carrière, moi j’ai pris la décision de sauter dans l’inconnu. C’est déjà un premier point. Se préparer à ce genre de changement, même dès un jeune âge, peut être bénéfique pour l’avenir. Après tout, on entend souvent dire que la carrière ne se déroule pas forcément au sein d’une seule entreprise, et je suis convaincue de cette idée.

De plus, j’ai passé quinze ans à me remettre aux études. Dans le monde professionnel de demain, je suis convaincue que cette soif d’apprentissage sera un atout majeur. Personnellement, je savoure chaque diplôme obtenu, sans penser immédiatement à son utilité pratique. C’est un état d’esprit que je considère comme une force pour l’avenir : avoir une trajectoire cohérente, tout en laissant place à l’imprévu.

Aimer apprendre, actualiser ses connaissances et suivre son instinct, tout cela fait partie de ce qui nous rend humains. En résumé, il faut écouter cette petite voix intérieure qui nous pousse vers l’inconnu. Allons-y, sans hésiter !

L’espèce humaine devrait accorder davantage de confiance à son intuition

L’intuition représente cette vaste part de notre esprit qui travaille en arrière-plan, même lorsque nous sommes dans un état de procrastination. C’est cette force qui peut nous amener à faire émerger quelque chose de génial sans que nous ayons conscience d’avoir agi pour cela. Il se passe des choses en coulisse qui peuvent conduire à des résultats surprenants. En somme, il est important de faire confiance à cette part non consciente de notre cerveau et à tout ce qu’elle peut accomplir. C’était le deuxième point qui peut être utile pour le monde du travail de demain.

Je ne cherche pas à donner des leçons à qui que ce soit. Je n’ai jamais été partisane de quitter précipitamment mon lieu de travail. Vous savez, il y a toujours ce moment où, mentalement, je décide de mettre un terme à mes tâches. Mais parfois, je choisis de rester un peu plus longtemps. Pourquoi donc ? Parce que dans ces instants-là, des conversations se nouent dans les couloirs, des discussions émergent à la pause café, des échanges informels se produisent. Et il m’est arrivé à maintes reprises de rester un peu plus longtemps et d’avoir des échanges qui ont réellement influencé le cours de ma carrière professionnelle. Je me suis retrouvée à discuter avec une personne dont les mots ont véritablement marqué un tournant dans ma vie professionnelle. Si j’étais partie plus tôt, je n’aurais peut-être jamais eu cette opportunité. 

Bien sûr, certains pourraient penser que cela relève d’une approche trop idéaliste, surtout venant d’une psychologue du travail. Je tiens à préciser que je ne parle pas des situations où le travail devient source de souffrance. Dans de tels cas, il est légitime de chercher des alternatives. Mon objectif, en accompagnant les individus, est de les aider à ne pas subir leur situation. Cependant, j’ai toujours cru en l’importance de rester ouvert aux opportunités imprévues. Cela a toujours été une lutte de ne pas considérer le travail uniquement comme un moyen de satisfaire l’employeur, mais plutôt de se demander ce que j’ai à en retirer personnellement. Comme je le répète souvent lors de mes accompagnements de personnes en recherche d’emploi, au lieu de se concentrer sur ce qui s’est mal passé, sur les erreurs commises, je les encourage à réfléchir ainsi : “Je n’ai pas aimé cette expérience, mais ce que j’ai appris, c’est ce que je ne voulais pas. Et ce que j’ai tiré de cette expérience, c’est ceci, c’est cela.” Cet apprentissage est leur bien propre, il appartient à la personne, non à l’employeur, ni à qui que ce soit d’autre. 

Cela me conduit à réfléchir aux besoins des travailleurs aujourd’hui, et cela résonne avec le concept de réussite collective en psychologie du travail. Nous sommes souvent mieux préparés à intervenir au niveau collectif qu’au niveau individuel. Le succès d’un collectif repose sur sa capacité à communiquer ouvertement sur le travail accompli.

Se comprendre soi-même évidemment

Actuellement, lorsque je suis confrontée à des réactions ou des conflits autour de moi, je remarque souvent qu’il y a quelque chose de plus profond qui pousse une personne à réagir de manière défensive ou à se vexer. Je me souviens de moi-même dans ces situations, lorsque je réagissais de cette manière en gardant mes blessures intérieures cachées. Cela m’est arrivé pendant des années, et je peux dire que le soulagement est immense le jour où l’on parvient à identifier les points sensibles, à comprendre ce qui résonne en nous. C’est un travail continu, mais cela en vaut la peine, car cela nous aide à désamorcer les situations tendues.

La morale de cela, c’est que le travailleur de demain doit investir beaucoup dans le développement personnel, bien au-delà de ses compétences professionnelles. Aujourd’hui, de nombreux courants remettent en question l’approche du développement personnel qui prône simplement la pensée positive. Bien sûr, cultiver une attitude positive ne peut pas faire de mal. Mais cela ne suffit pas à guérir les vieilles blessures qui ressurgissent lorsque quelqu’un nous touche au plus profond de nous-mêmes. Donc, le conseil que je donne, même en étant conscient du bien-être des autres, c’est d’affronter ces blessures, de les examiner, de les comprendre.

Cesser de stigmatiser l’individu quand le système est défaillant

Cela me rappelle exactement ce que nous étudions au CNAM. Dans notre courant de pensée sur la psychologie du travail, nous dénonçons également la stigmatisation de l’individu. Les grands chercheurs dont nous nous inspirons soulignent que ce n’est pas tant le travailleur qui est malade, mais plutôt l’organisation elle-même qui est souvent malade. Pour une organisation, il est plus facile de pointer du doigt un individu en difficulté et de lui offrir de l’aide, mais cela peut aussi implicitement sous-entendre une certaine faiblesse de sa part. 

Dans l’avenir, cela risque de créer une division, où les plus faibles seraient laissés pour compte tandis que les plus forts seraient valorisés. C’est pourquoi notre approche de la psychologie du travail plaide en faveur d’une analyse de ce qui dysfonctionne dans l’organisation et comment cela peut impacter les individus. Lors d’une récente intervention, j’ai constaté à quel point des outils inadéquats peuvent compromettre la constitution d’une équipe. Parfois, les outils informatiques ne sont pas adaptés à la tâche et au lieu de remettre en question les outils, on stigmatise les individus qui peinent à les utiliser. Il est crucial de considérer les outils mis à disposition des employés ainsi que le niveau de reconnaissance accordé. Car même avec la meilleure volonté du monde, si on vous demande de creuser une tranchée avec une fourchette, même dix personnes n’y parviendront probablement pas. L’entreprise risque alors de stigmatiser ceux qui sont confrontés à ces difficultés, sans remettre en question la pertinence des outils mis à disposition.

Un ancrage profond dans nos modes de fonctionnement

Historiquement, on dit souvent que le taylorisme, en se concentrant sur l’individu dans sa chaîne de montage, a initié une sorte de stigmatisation de l’individu. De plus, certains chercheurs, comme Christophe Dejours, considèrent que les entretiens annuels d’évaluation individuelle, mis en place il y a quelques années, sont infernaux, car ils mettent trop l’accent sur l’évaluation de l’individu, ce qui engendre des tensions et des comparaisons néfastes entre les employés. 

Un autre élément critique du travail contemporain est ce qu’on appelle le “tournant gestionnaire”, où ce sont des gestionnaires axés sur les chiffres et les statistiques, plutôt que des experts du métier, qui dirigent. Cela conduit à une focalisation excessive sur les résultats au détriment des méthodes, des outils et de la subtilité du travail, qui ne peut être évaluée uniquement en termes chiffrés.

Remettre en question ses méthodes de fonctionnement

Dans le milieu professionnel, je constate de nombreuses initiatives. Bien que je ne sois pas aussi présente qu’auparavant dans diverses entreprises en tant que formatrice, je suis actuellement impliquée dans un grand groupe bancaire. Par exemple, ils ont récemment mis en place une formation sur l’excellence relationnelle pour tous les employés, ce qui m’a réjouie lorsque mes collègues m’ont confirmé que cela reflétait parfaitement ce que je leur enseigne régulièrement. 

Il existe également des psychologues du travail dans certaines entreprises, mais leur intervention est souvent davantage sollicitée pour accompagner individuellement les personnes en souffrance. Cependant, il est important de souligner les interventions collectives, comme celles que j’ai déjà menées avec le CNAM. Ces séances permettent aux professionnels de discuter de leur travail, de leurs méthodes et parfois même de confronter leurs opinions et leurs pratiques. C’est ce que nous préconisons généralement : la création d’instances dialogiques où les membres d’une équipe peuvent échanger sur leur travail, leurs méthodes et leurs fonctionnements. Cependant, pour que de telles discussions soient efficaces, il est nécessaire que le groupe soit réellement ouvert à la communication et à la collaboration. 

Il est crucial d’aborder la question de la bienveillance dans nos interactions professionnelles. Bien sûr, cela va de soi, mais aujourd’hui, face aux nombreux dysfonctionnements que je constate, je me demande ce qui pourrait réellement faire la différence. Il est important de reconnaître que traiter chaque membre de l’équipe de la même manière peut être ambigu et même injuste. Certains pourraient soutenir que c’est juste, car ils agissent de manière égale envers tous, mais cela suppose que tout le monde est identique, ce qui n’est pas le cas. Personnellement, je suis d’avis qu’il est essentiel de reconnaître et de s’intéresser aux différences, aux attentes et aux besoins variés de chacun. Les outils d’approche de la personnalité nous apprennent que les besoins humains ont des facettes différentes, il n’y en a pas non plus autant que de personnes dans le monde. Nous disposons de nombreux outils certifiés pour identifier des tendances communes dans les besoins humains, tout en tenant compte de la complexité individuelle résultant des histoires de vie et des expériences personnelles. Il est primordial d’être humble à cet égard et de reconnaître que nous ne pouvons pas toujours percevoir les expériences uniques des autres. Nous ne dressons pas de profils complets, mais nous identifions des besoins communs, car en fin de compte, nous sommes tous membres de la même espèce, partageant des traits et des fonctionnements similaires.

Lutter contre le sentiment de rejet

Notre espèce a besoin de surmonter sa peur innée du rejet. L’importance de l’acceptation sociale est manifeste dans tous les aspects de la vie humaine, y compris dans le monde professionnel. Les réactions épidermiques, souvent observées dans les interactions au travail, sont souvent liées à cette crainte de rejet. Il est regrettable que cette compréhension des besoins humains ne soit pas enseignée dans les programmes scolaires. Il serait bénéfique d’avoir des cours abordant la reconnaissance et la satisfaction des besoins humains, ainsi que les mécanismes qui incitent à l’écoute ou au rejet. 

Bien sûr, il y a des aspects imprévisibles de la vie quotidienne et des moments où même le bénéfice du doute est nécessaire. Nous avons tous rencontré des collègues dont le comportement varie en fonction de divers facteurs, et il est essentiel d’adopter une attitude indulgente et bienveillante dans nos interactions. Remettre en question nos propres perceptions et accorder le bénéfice du doute peuvent favoriser une meilleure compréhension mutuelle et une communication efficace.

Développer la mobilité interne

Rester au sein d’une même entreprise peut parfois être perçu de manière mitigée. Dans certains environnements, comme celui de la grande banque où je travaille, rester dans un même service pendant plus de six ans peut être mal vu, donnant l’impression de manquer d’ambition. J’entends souvent cet argument autour de moi : ceux qui choisissent de partir sont parfois encouragés, sous prétexte que rester n’est pas bénéfique pour leur évolution professionnelle. Cependant, ces grandes entreprises encouragent également la mobilité interne, offrant ainsi une diversité d’opportunités. Je crois que c’est une bonne pratique à adopter pour les entreprises de demain : permettre aux employés de construire leur propre bagage de compétences en explorant différents services et activités. Cela favorise un “égoïsme positif”, où chaque individu cherche à enrichir ses connaissances et compétences tout en contribuant au succès de l’entreprise.

Le portage salarial, un bon moyen pour susciter un sentiment d’appartenance

En tant qu’indépendante, j’ai pu bénéficier d’un sentiment d’appartenance grâce à des regroupements de Dtalents, une dynamique que je continue de vivre aujourd’hui. Même pendant la période difficile du Covid-19, alors que je n’avais pas de mission, j’ai pu ressentir cette connexion avec d’autres indépendants. C’est un aspect que je tenais à souligner. 

Il est vrai que se vendre en tant qu’indépendant directement auprès d’une entreprise peut être difficile. De nombreuses entreprises ne sont pas enclines à engager un indépendant isolé, préférant plutôt travailler avec des entrepreneurs établis. C’est là que le portage salarial entre en jeu. Personnellement, j’ai découvert cette option il y a quelque temps, et j’ai trouvé que c’était une solution idéale. Cela me permet d’être indépendant tout en bénéficiant d’une forme d’encadrement et de soutien, ce qui est vraiment appréciable.

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